Le feu de la Passion

La reprise

Quelques jours suivants son retour, Esthia se leva de bonne heure avec une sensation étrange dans la poitrine. L'excitation mêlée à une pointe de nervosité, comme si quelque chose de spécial allait se produire. C'était son premier entraînement avec son père depuis son retour d'Irlande, et même si elle s'était maintenue en forme là-bas, revenir sur ce terrain où tout avait commencé avait une résonance particulière. Il ne s'agissait pas d'un simple entraînement. Elle le savait, et son corps le ressentait.

Elle avait accepté l'invitation de son père à se joindre à l'entraînement de l'équipe locale pour se remettre dans le bain. Il ne lui avait pas donné plus de détails, mais elle se doutait qu'il avait prévu quelque chose de plus intense que ce qu'il lui avait laissé entendre. Dans un coin de sa tête, elle se demandait si ce n'était pas un test, une manière pour lui de jauger si elle était encore à la hauteur. Après tout, trois ans loin de cette terre de rugby française pouvaient changer bien des choses.

En enfilant son short et son maillot, elle sentit le poids du tissu contre sa peau. C'était comme enfiler une deuxième peau, familière et rassurante. Ses longs cheveux bouclés étaient tirés en arrière dans une queue-de-cheval haute, laissant ses traits fins mais déterminés se dessiner avec précision. Ses yeux bleu clair, presque perçants, reflétaient cette concentration silencieuse qui la caractérisait avant chaque match ou entraînement important. Ce jour n'échappait pas à la règle.

Lorsqu'elle arriva au stade, la fraîcheur du matin la saisit immédiatement. Le terrain était encore humide de la rosée, et l'herbe verte scintillait sous les premiers rayons du soleil. Il n'y avait personne dans les gradins à cette heure-là, juste le silence apaisant du stade qui l'enveloppait. Seul le bruit de ses crampons frappant doucement le sol résonnait dans l'air calme.

Elle s'avança vers le centre du terrain, là où plusieurs cônes avaient été disposés, formant un parcours d'agilité qu'elle reconnaissait immédiatement. À côté des cônes, des sacs de plaquage, des mannequins d'entraînement, et plusieurs ballons de rugby attendaient en ligne, soigneusement disposés. Son père, déjà en tenue d'entraîneur, l'attendait, les bras croisés, un sourire en coin. À ses côtés se tenaient quelques joueurs ,et joueuses de l'équipe locale, les plus jeunes, ceux qui venaient de rejoindre le club en son absence.

"Tu es prête ?" lança-t-il avec ce ton mi-sérieux, mi-taquin qui le caractérisait. "On va voir si ces années en Irlande t'ont vraiment forgée."

Esthia haussa un sourcil, amusée. "Tu sais très bien que je ne suis pas là pour faire de la figuration, papa. Je suis toujours prête."

Un éclat de fierté brilla dans les yeux de son père. "Alors, on commence."

Il siffla et, en quelques instants, tout bascula dans l'intensité. Le premier exercice était simple en apparence : une série de sprints courts, suivis de changements de direction brusques entre les cônes. Mais ce que son père omettait de dire, c'est que chaque erreur dans l'exécution serait immédiatement sanctionnée par un aller-retour de plus. Esthia le savait d'avance, et dès le premier sprint, elle donna tout ce qu'elle avait.

Ses jambes musclées, encore agiles et puissantes malgré le temps passé à l'étranger, se mirent à voler sur la pelouse. Chaque appui était précis, chaque changement de direction exécuté avec fluidité. Les jeunes joueurs l'observaient en silence, impressionnés par sa technique. Pourtant, elle savait qu'il ne s'agissait là que de l'échauffement.

Après une dizaine de passages entre les cônes, son père l'arrêta. "Pas mal. On passe au contact maintenant."

Le contact. Là où tout se jouait réellement pour elle. Esthia avait toujours aimé l'aspect physique du rugby, cette confrontation brute mais réglée, cette danse entre force et technique. Elle se dirigea vers le sac de plaquage, le toisa un instant, et se mit en position. D'un coup sec, elle fondit sur le sac, le plaquant avec une violence contrôlée. Le choc résonna dans tout le stade, suivi d'un souffle lourd alors qu'elle se redressait, le visage légèrement en sueur mais concentré.