LVI

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Faith

Il est précisément une heure seize du matin, et l'obscurité dense de la nuit semble peser un peu plus à chaque minute qui s'écoule. Alban m'avait prévenue, bien plus tôt dans la journée, aux alentours de treize heures, qu'il ne rentrerait pas avant vingt heures, occupé avec Aaron pour des raisons que je n'ai pas cherché à comprendre. Mais maintenant, les heures s'étirent dans le silence. J'ai tenté de le joindre à plusieurs reprises, et chaque tentative s'est heurtée à la froideur de sa messagerie. La seule chose qui me retient de sortir déambuler dans les rues désertes de Boston à sa recherche, c'est cette pensée rassurante que son téléphone doit simplement être déchargé.

Et pourtant, quelque chose me ronge. L'idée qu'il ne soit pas rentré à cause de moi, qu'il ait eu une conversation que j'aurais peut-être provoquée, me torture l'esprit. Que se sont-ils dit, Aaron et lui ? Aaron lui en veut-il réellement, autant que je l'imagine ? Ces questions tournent dans ma tête, empoisonnant chaque instant de mon attente.

Assise à la table de cuisine, mes pensées bourdonnent plus fort que le ronronnement du frigo ou le tic-tac régulier de l'horloge. Seuls ces bruits mécaniques m'accompagnent dans cette veillée. Mais ce n'est pas son absence qui me tourmente le plus, au fond. Non, ce qui me dérange, c'est cette autre voix, plus lointaine mais dévastatrice : celle de mon père.

Aujourd'hui, après des jours de silence, il a essayé de me joindre. Un simple appel, mais qui a suffi à bouleverser tout ce que je croyais avoir mis derrière moi. Ce geste inattendu, cet appel que je n'ai pas décroché, me force à remettre en question tout ce que je pensais savoir de notre relation.

C'est sans doute pour cela que je reste éveillée, incapable de me laisser aller au sommeil. À cet instant, mon père doit probablement être lui aussi éveillé, peut-être ivre, pensant à moi, à sa fille. Une pensée qui, pour d'autres, serait insupportable, mais qui, contre toute attente, m'apporte un étrange réconfort. Peut-être que ce n'est pas de la joie, mais une lueur d'espoir : l'idée qu'il puisse encore ressentir quelque chose pour moi, une once de compassion. Peut-être qu'au fond, il ne se moque pas totalement de moi. Peut-être qu'il ne me déteste pas autant que je l'ai cru.

Mais cette version des faits n'est-elle qu'une illusion, une histoire que je me raconte pour supporter l'inévitable ? Peut-être même qu'il n'a pas fait exprès de m'appeler.

Et pourtant, ces pensées me rongent, elles creusent un vide que je ne peux pas combler. Une partie de moi brûle de me lever, de quitter cet appartement et de rentrer chez lui, de voir ce qu'il fait, de confronter la réalité. Mais une autre partie, plus rationnelle, me retient, murmure que ce n'est pas la bonne chose à faire. Cependant, cette voix sage et tranquille est éclipsée par l'autre, celle qui hurle de frustration, celle qui voudrait gagner à tout prix.

Alors, sans plus réfléchir, je me lève d'un geste mécanique. J'attrape une veste, enfile mes chaussures à la hâte, puis, dans un mouvement presque inconscient, je saisis la poignée de la porte. Le clic résonne dans le silence de l'appartement, et je l'ouvre. À peine ai-je fait un pas dehors que mon visage heurte quelque chose, ou plutôt quelqu'un.

Je recule brusquement, surprise, et lève les yeux. Devant moi se tient un visage familier, un regard dans lequel je me suis souvent perdue.

— Alban ? Tu es enfin rentré ? demandé-je, mes sourcils se haussant.

Il hoche lentement la tête, comme si chaque mouvement lui coûtait une énergie immense.

— Oh.

Cette simple syllabe semble flotter entre nous, légère et presque insignifiante. Je le fixe en silence, mes pensées s'emmêlent, et plus je le regarde, plus je sens quelque chose changer dans son regard. Une lueur de tristesse éclot dans ses yeux, et soudain, ils brillent d'une manière inquiétante, comme si les larmes menaçaient d'y éclore à tout moment. Son visage est marqué par la fatigue, ses paupières lourdes presque closes, ses yeux rougis trahissant des heures d'errance.

Forgotten MemoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant