Ostru: Fragments d'un Monde Déchu

Chapitre 44

La fumée s'insinuait lentement dans ses poumons tandis qu'elle tirait une longue bouffée, la cigarette tenue entre ses doigts maigres et nerveux. Assise au bord d'une ruine, ses jambes pendant dans le vide, Dona regardait le paysage désolé qui s'étendait devant elle. C'était dans ces rares moments de calme, volés à un quotidien chaotique, qu'elle trouvait un semblant de paix. Ces instants où personne ne lui donnait d'ordre, où elle échappait aux responsabilités qui pesaient sur ses épaules, étaient des bulles de liberté qu'elle savourait avec une intensité presque désespérée.

Sous ses yeux, les ruines d'un ancien château, autrefois majestueux, servaient maintenant de terrain d'entraînement aux rodeurs. Au loin, elle pouvait les voir. Les silhouettes s'entrecroisaient, riant, se battant, s'entraînant avec acharnement. De temps à autre, elle entendait des éclats de voix, des disputes qui éclataient, des rivalités exacerbées par la dureté de leur nouvelle existence. La guerre avait imposé son propre rythme. Ils étaient tous piégés dans une boucle incessante de missions et de combats, à tel point que Dona avait parfois l'impression de perdre pied avec la réalité.

Tout n'était qu'action, tension, survie. Mais ces quelques minutes passées seule, avec sa cigarette et le monde à ses pieds, lui permettaient de se rappeler qu'elle n'était pas vraiment seule. Derrière les querelles et les entraînements, derrière cette vie de mission perpétuelle, il y avait des gens comme elle, des hommes et des femmes qui partageaient son destin, qui souffraient des mêmes pertes, des mêmes peurs. Et ça, étrangement, la réconfortait. Cette solidarité tacite dans la douleur leur permettait de continuer à avancer.

À 26 ans, Dona portait déjà le poids d'une vie entière de combats. Ses yeux, cernés par des nuits sans sommeil, racontaient l'histoire de ses dix dernières années passées dans l'ombre de l'apocalypse. Dix années où le monde qu'elle avait connu s'était effondré, et où elle avait dû apprendre à survivre dans ce nouveau chaos. Mais au fond d'elle, elle avait encore du mal à accepter cette nouvelle réalité. Elle s'accrochait à des souvenirs d'un autre temps, celui où elle pouvait encore rêver d'une vie normale. Une vie qui n'avait pas été réduite à des missions, à des batailles, à la mort omniprésente.

Ces pauses cigarette étaient devenues une sorte de rituel, un besoin presque vital. Chaque bouffée lui donnait l'illusion d'un répit, d'un moment volé à la vie qui l'empoisonnait bien plus que la fumée qui entrait dans ses poumons. Elle savait que cela la tuait à petit feu, mais elle s'en moquait. Respirer cette toxicité volontairement, c'était une manière d'exercer un contrôle sur quelque chose, de choisir, ne serait-ce qu'un instant, ce qui la détruisait.

Elle avait arrêté de fumer il y a quelques années, lorsque son endurance avait commencé à en pâtir, lorsque son corps ne suivait plus aussi bien qu'avant. Mais à cette époque, à 26 ans, elle se délectait encore de chaque bouffée, savourant le goût amer du tabac et la brûlure légère au fond de sa gorge.

Le monde autour d'elle était silencieux, à l'exception des bruits lointains des rodeurs. La lumière du soleil filtrant à travers les nuages créait un contraste presque poétique avec la désolation qui l'entourait.

Mais ici, perchée sur cette ruine, avec le vent qui lui caressait le visage et la cigarette qui se consumait lentement entre ses doigts, Dona se sentait étrangement libre.

Le bruit sourd qui retentit attira immédiatement l'attention de Dona. Assise en équilibre sur le rebord de la ruine, elle se redressa légèrement, surprise. Cet endroit, où elle venait souvent se réfugier, était connu pour être dangereux. Les murs effrités, les pierres qui menaçaient de céder à tout moment, les fondations instables, tout dans cet endroit transpirait l'abandon et la ruine. La plupart des gens, même les rodeurs aguerris, évitaient de s'aventurer ici, encore moins de grimper aussi haut qu'elle. Les ruines avaient leur propre réputation, celle d'un piège mortel prêt à se refermer à tout instant.