Danse avec la Mort

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La brume s'épaississait à mesure que la nuit défilait. Plus haut, le soleil faisait la course à la lune qui détenait encore une bonne longueur d'avance sur l'astre du jour. Pourtant, plusieurs véhicules se risquaient à fendre le brouillard à couper au couteau, leurs phares rouges s'évanouissant quelques dizaines de mètres plus loin comme s'ils s'étaient téléportés dans un autre monde. Benjamin Ménard avançait rapidement les mains dans les poches et le cou enfoncé dans son long trench sombre d'hiver. Il sortit subrepticement son portable pour consulter l'heure alors qu'une bande de fêtards nocturne déambulait joyeusement sur le trottoir d'en face. 3h26. Il pressa le pas, profitant d'avoir sorti sa main de sa poche pour essuyer les gouttelettes de condensation qui s'étaient formées sur son duvet blond avant que celle-ci ne retourne dans l'alcôve chaude de sa poche. Enfin, Benjamin distingua l'angle de la rue Henri Marceau qui débutait par un porche de béton brut à côté duquel une zone de travaux était délimitée par des grillages rappelant les barreaux gris d'une prison. Au-dessus, les néons rouges et blancs d'une agence d'emploi tentaient tant bien que mal de rappeler son existence à qui voulait la voir. Une énième voiture passa à côté de lui tandis que la bande bruyante s'éloignait dans l'autre sens. Le temps d'atteindre le coin du bâtiment, Benjamin tenta d'observer son reflet dans la vitre mais celle-ci ne renvoyait rien à part les promesses d'embauches toutes plus alléchantes les unes que les autres.

Il se mit à penser à la soirée passée. Une bonne soirée en résumé, si l'on excluait que l'établissement était archi-comble au point qu'il en était quasiment impossible d'y circuler. Après quelques verres, le jeune homme de 24 ans avait pris la décision de partir et de rentrer se glisser sous ses draps. Beaucoup de boulot l'attendait le lendemain malgré les examens passés et il désirait prendre un peu d'avance dans ses révisions pour aborder les fêtes plus sereinement. Benjamin visait le master deuxième année d'économie après quoi il se dirigerait vers un poste d'analyste financier ou de chargé d'études commerciales. Il n'était pas carriériste, mais désirait vivre convenablement. Fort heureusement pour lui, son esprit analytique et sa faculté à enregistrer puis retranscrire à l'identique lui avaient facilité le travail jusque-là. Benjamin ne s'était jamais privé de sorties, mais avait toujours cherché à en limiter les coûts qu'ils soient pécuniaires, physiques ou temporels. Et personne ne lui reprochait, bien au contraire.

Il passa à côté d'une tente adressant un léger regard à celle-ci. Par ce froid humide, il plaignait les sans-abris. Dans une rue parallèle, il savait qu'un foyer existait mais il était plein toutes les nuits et les autres dispersés un peu partout dans l'agglomération devaient faire face au même problème. Sa voiture était garée dans la rue devant lui. Il ne la voyait pas encore, mais il en devinait les contours. Un éclairage sur deux fonctionnait dans la rue Henri Marceau, officiellement pour limiter l'usage de l'énergie électrique, officieusement parce que la ville n'en faisait pas une priorité. Il pressa à nouveau le pas, la brume se dissipant légèrement entre les deux bâtiments dont le sommet demeurait invisible. Un instant, il s'imagina au-dessus de l'Empire State Building surplombant New-York. Il y était allé deux ans auparavant peu après que les barrières contre le covid se soient assouplies. Il en gardait un souvenir ému alors qu'un brouillard remontant de l'Hudson River enveloppait la ville qui ne dort jamais. La tête de plusieurs gratte-ciels (ils se comptaient sur les doigts des deux mains) parvenait à se hisser au-dessus de la nappe brumeuse, comme les témoins d'une civilisation terrestre adressés aux yeux de l'univers entier. En arrivant à hauteur de sa voiture, une Clio de l'avant-dernière génération dont les essuie-glaces commençaient à sérieusement fatiguer, il observa que de ce côté-ci, la brume se dégageait légèrement, l'autorisant à voir un peu plus loin. Il avait déjà son trajet en tête. Après avoir démarré, il bifurquerait dans une ruelle en sens unique sur sa droite avant de tourner à gauche et de regagner l'une des artères principales de la ville qui l'emmènerait presque directement chez lui.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 14 ⏰

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