Vision Nocturne

1. À travers la porte

Sacha n'avait toujours pas de réponse de son ami. Il était bientôt minuit et s'il ne donnait pas signe de vie, il ne savait pas vraiment ce qu'il allait pouvoir faire. Évidemment, il pouvait toujours prendre un taxi pour retourner chez lui, mais c'était son compte en banque qui allait râler. Le jeune homme trépignait d'impatience. Il ne cessait de gratter sa barbe rousse, qu'il devait raser depuis plusieurs jours, mais il oubliait à chaque fois. Ses doigts, presque par automatisme, rappelèrent pour la cinquième fois le même contact. La sonnerie retentit dans le vide.
Pourtant Gabin lui avait dit qu'après sa séance de natation, il pouvait toujours dormir chez lui. Il lui avait même donné le double des clés. En début de semaine, il avait donc rappelé à son ami qu'il allait finir tard le vendredi et que, si c'était toujours ok, il passerait la nuit à son appartement. Gabin lui avait simplement envoyé un pouce en l'air en guise de confirmation.
Mais le soir venu, plus rien. Il laissa quelques minutes s'écouler, puis en voyant le peu de batterie qui lui restait sur son téléphone, il se décida. L'approbation qu'il avait reçue lundi lui suffirait. L'appartement de son ami n'était qu'à quinze minutes de marche après tout, et ce dernier devait sûrement dormir.

Sacha ne prit donc pas la peine de sonner en arrivant. Il déverrouilla le portique de l'immeuble avec le badge, et resta silencieux lorsqu'il fit tourner les clés dans la serrure. En entrant, tout était éteint. La pièce principale était en bazar, ce qui était assez habituel. La vaisselle n'était pas faite, des habits traînaient de part et d'autre du canapé, et la table était recouverte de désordre. Il ne s'en préoccupait guère.
Toujours sans faire de bruit, il retira ses chaussures, son pantalon, et sortit une brosse à dent de son sac. Il sursauta quand il entendit un bruit venir de la chambre. L'oreille alerte, il se redressa. Plus un bruit. Ayant passé quelques nuits avec son ami, il savait que celui-ci ronflait, voire parlait dans son sommeil. Ce n'était probablement que ça qu'il venait d'entendre. Il se dirigea vers la salle de bain, et les bruits reprirent de plus belle. C'étaient comme des gémissements. La salle de bain était devant lui, la chambre de son ami juste à côté. Il devrait passer devant dans tous les cas. Sur la pointe des pieds, il se rapprocha et vit que la porte était entrouverte. Sans vraiment savoir ce qui l'y poussait, il ne put s'empêcher de jeter un œil à l'intérieur. Il vit d'abord que la lampe sur la table de nuit était toujours allumée, puis il vit enfin ce qu'il se passait dans la chambre de son meilleur ami.
Gabin était à moitié allongé sur son lit, complètement nu, les jambes pendantes et les pieds posés au sol. Les yeux fermés, il avait une main derrière sa tête, l'autre posée sur la chevelure d'une jeune femme, en mouvement entre ses jambes. Avec ses longs cheveux très bruns et très raides, Sacha reconnu, sans même voir son visage, Océane, la copine de Gabin.
Il voulu faire immédiatement demi-tour, mais il était trop absorbé par cette scène très intime qui se déroulait sous ses yeux. Le corps de son ami était recouvert de sueur, il brillait sous la lumière chaude de la lampe. Ses cheveux châtains et bouclés bougeaient en un mouvement régulier et sa bouche laissait échapper une respiration rauque et lourde. De temps en temps, un gémissement retentissait, semblant sortir de tout son corps à la fois. Son visage trahissait le plaisir pur. Océane, qui lui faisait dos, était toujours vêtue d'une culotte, et tout son corps se mouvait quand sa tête multipliait les vas-et-viens. Ses mains aussi s'affairaient entre les jambes de l'homme, sans que Sacha ne puisse en deviner les mouvements précis.
Tout d'un coup, Gabin eut comme un spasme de jouissance et ses yeux s'ouvrirent pour se révulser vers l'arrière. Sacha recula d'un bond, de peur qu'il ne l'ait aperçu. Mais ce n'était pas le cas. Sans passer par la salle de bain, il se rua discrètement dans le canapé et se couvrit d'un plaid, des pieds jusqu'au nez. Son cœur battait à tout rompre. À côté, les gémissements continuaient, s'affolaient. Ils se faisaient de plus en plus grave, de plus en plus fort. Au bout d'un moment, tout s'arrêta, et Sacha crut son calvaire enfin terminé. Mais après seulement quelques secondes, ce fut des claquements qui retentirent, à intervalles réguliers et rapides. Ça en était trop pour lui. Il voulut prendre ses écouteurs mais ils n'avaient plus de batterie. Alors il les enfonça tout de même dans ses oreilles mais ce fut vain. Il entendait tout. Les peaux qui se claquaient entre elles, les gémissements d'Océane et même la respiration de plus en plus sonore de son ami. Ce fut plus fort que lui, des images s'imposèrent dans son esprit. Des images de ce qui se passait derrière cette porte à demi-close. Son corps réagit d'une façon contraire à son cerveau, son sexe se durcit vivement. Il refusait de se toucher, là, à quelques mètres seulement de son ami d'enfance, mais l'excitation était à son comble et ça en devenait douloureux. Alors que les minutes défilaient, les cris de l'autre côté s'amplifiaient et son propre corps refusait toujours de lui obéir. S'il gardait ses mains sévèrement bloquées derrière sa tête, son bassin lui, se contentait de se frotter contre le plaid, d'un mouvement lent mais assuré. Il savait qu'il ne pourrait pas lutter, et pour éviter de se sentir trop gêné de cette proximité avec son ami, il décida de se concentrer sur les bruits de la jeune femme. Mais alors que, il s'en doutait, la jouissance approchait, Océane se contentait de petits cris aigus et discrets, mais Gabin rugissait presque, ce qui avait pour effet d'exciter Sacha encore plus, bien malgré lui. Quand Gabin jouit, Sacha fit de même, honteux.
Par chance, le couple ne repassa pas par le salon après leurs ébats et se contenta d'un aller-retour dans la salle de bain, sans l'apercevoir. Après une dizaine de minutes, le silence se fit enfin. Pourtant, il mit bien du temps à s'endormir.