5. Passion effrayante

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- Merde, merde, merde ! répéta Gabin.
Sacha gardait son front contre ses genoux, dissimulant son visage à son ami. Son pied tapotait nerveusement contre le goudron.
- Merde Cha, qu'est-ce qu'on a fait ?!
Il ne répondit rien, ce n'était pas nécessaire.
- Qu'est-ce que je vais dire à Océane ?
Il redressa la tête brusquement.
- Comment ça, qu'est-ce que tu vas lui dire ? Tu vas rien lui dire !
Gabin se leva d'un bond et le regarda furieusement :
- Je ne peux pas rien lui dire ! Ça va faire un an qu'on est ensemble mec, je ne lui ai jamais menti.
Sacha se leva également pour lui faire face. Il essayait de chuchoter mais la panique lui faisait parfois hausser la voix :
- Ok, donc tu vas rentrer et tu vas lui dire quoi ? "Chérie au fait, j'ai branlé mon meilleur pote. Mais ça voulait rien dire, rassure toi" ?!
Son ami ouvrit de grands yeux, réalisant le sérieux de la situation, malgré son ton cynique. Il secoua la tête :
- Non, non... Non, elle comprendra... Je lui expliquerai qu'on était bourrés et que-
- T'es bourré ?
- Non.
- Ah. Donc tu comptes lui mentir un peu quand même.
- Mec...
Gabin enfonça son menton contre sa poitrine et attrapa ses cheveux à l'arrière de la tête, menaçant de se les arracher. Il se passa plusieurs secondes avant qu'il ne se redresse, les yeux presque noirs :
- J'arrive pas à croire que t'aies pu faire ça !
- Pardon ?
- Qu'est-ce qui t'a pris ?
- Mais rien ! C'est toi qui a commencé !
En entendant sa propre phrase, il se sentit stupide.
- Moi ? Depuis une semaine, t'es hyper bizarre, t'arrêtes pas de me mater et... Bordel, j'arrive pas à y croire.
- Gabin, tu sais très bien que je suis pas le seul responsable dans l'histoire. T'en avais autant envie que moi, merde.
Son ami n'avait de cesse de secouer la tête.
- Je ne veux pas que ça se finisse avec Océane, c'est pas possible.
- Alors ne lui dis rien !
- Je ne peux pas... J'ai pas envie de lui mentir.
Sacha avança d'un pas pour entourer fermement ses bras de ses deux grandes mains.
- Gab, c'est trop tard de toute façon. Tu ne peux pas faire marche arrière. Si t'as pas envie que tout s'arrête... Ne lui dis rien. Je t'en prie, ne lui dis rien.
Son ami se dégagea de son emprise et lui tourna le dos :
- Rentre chez toi, s'il te plaît.
Il en fut estomaqué. Il voulait répondre mais rien ne sortait. Après deux pas en arrière, il jeta un dernier coup d'œil à son pote, puis fit demi-tour.

Cela faisait plusieurs semaines depuis leur dernière rencontre, et les choses étaient étranges. Sacha et Gabin n'avaient plus vraiment parlé, sauf pour échanger des banalités lors de soirées ou dans des groupes où ils étaient tous les deux. Pourtant, chaque fois qu'ils se croisaient, Sacha sentait cette tension sous-jacente, cette urgence mal placée qui ne voulait pas disparaître. Il faisait tout pour l'éviter, mais quelque chose en lui le poussait constamment à chercher son regard, à analyser chacun de ses gestes.
Un soir, alors qu'il revenait d'une séance de natation où il avait encore croisé son ami, son téléphone vibra.
C'était lui. Un simple message :
"T'es chez toi ?"
Son cœur rata un battement. C'était la première fois que Gabin le contactait directement depuis la dernière nuit. Il hésita, regardant l'écran sans bouger. Finalement, il répondit simplement :
"Ouais, pourquoi ?"
La réponse arriva presque immédiatement :
"J'arrive."
Il n'eut même pas le temps de répondre que Gabin était déjà en bas de son immeuble et sonnait à l'interphone. Sacha, perturbé, alla lui ouvrir. Lorsqu'il arriva devant la porte, Gabin était là, les mains dans les poches, les yeux fuyants. Aucun des deux ne savait vraiment quoi dire.
- Ça va ? demanda Sacha d'un ton presque neutre, même s'il sentait le malaise envahir chaque parcelle de son corps.
Il tentait de rester calme, de faire comme si la tension entre eux n'était pas en train de rendre la situation insupportable.
- Ouais. répondit Gabin, en haussant légèrement les épaules. Faut qu'on parle.
Ils entrèrent dans l'appartement, et l'air entre eux devint de plus en plus lourd. Gabin semblait nerveux, à la limite de l'agitation. Sacha le regardait du coin de l'œil, attendant qu'il prenne la parole, mais il se contentait de faire les cent pas dans le salon.
- Qu'est-ce que tu voulais me dire ? finit-il par demander.
Son ami s'arrêta enfin, le dos tourné à lui, regardant le mur.
- J'arrête pas d'y penser. À ce qui s'est passé... dans cette rue.
Sacha sentit un frisson le parcourir.
- Gabin, on a déjà dit que c'était... juste une connerie, un moment d'égarement.
- Ouais, sauf que... Sauf que c'était pas juste un truc qui arrive et qu'on oublie. J'arrive pas à le sortir de ma tête, et... ça me fout les nerfs.
Le silence retomba comme une chape de plomb. Sacha ne savait pas quoi répondre. Il n'était pas censé ressentir ça non plus, mais la vérité c'est qu'il y pensait tout le temps. Il ne pouvait pas le nier, même si ça le rendait dingue. C'était comme une obsession, un truc qui s'était incrusté en lui sans qu'il sache comment s'en débarrasser.
- Tu veux que j'y fasse quoi, moi ? demanda-t-il, presque sur la défensive.
Il sentait son cœur battre de plus en plus vite, comme si sa présence avait réveillé quelque chose de dangereux, une pulsion qu'il ne pouvait plus maîtriser.
- Je sais pas ! C'est ça le problème. J'sais pas ce que je fous ! J'aime Océane, merde... Mais à chaque fois que je te vois, je pense à...
Il s'interrompit brusquement, incapable de finir sa phrase. Sacha s'éloigna, essayant de mettre un peu de distance entre eux, mais Gabin se rapprocha instinctivement.
- Tu crois que c'est plus facile pour moi ? Putain, j'ai jamais pensé à toi... comme ça avant, et maintenant je peux plus penser à autre chose.
Ils étaient maintenant face à face, et il pouvait sentir la chaleur émaner de son corps, ce corps à la fois étranger et familier, cette même chaleur qui l'avait envahi lors de leur dernière rencontre. Leurs respirations s'étaient accélérées. Gabin le fixait, la mâchoire serrée, les poings serrés comme s'il luttait contre une force invisible.
- Je veux que ça s'arrête, murmura-t-il.
Sacha hocha la tête, mais il n'y croyait pas. Il sentait déjà la tension monter en lui, le tiraillement entre ce qu'il savait être rationnel et cette pulsion animale qui ne demandait qu'à éclater à nouveau.
- Ouais, moi aussi, répondit-il faiblement.
Mais même alors qu'il prononçait ces mots, il sentait le désir grandir à nouveau en lui, tout comme cette fois dans la rue déserte.
Ils se fixaient, et sans qu'ils puissent contrôler quoi que ce soit, leurs corps se rapprochèrent encore. Gabin posa une main hésitante sur son épaule, comme pour le repousser, mais la pression de ses doigts se fit plus ferme. Il retint son souffle, sentant l'étreinte légère devenir un point de non-retour.
- Merde... souffla Gabin avant de céder à l'attraction une fois de plus.
Leurs lèvres se touchèrent brusquement, comme une décharge électrique. Cette fois, ce n'était pas de l'alcool ou l'excitation d'une soirée passée à éviter le regard de l'autre. C'était eux, face à face, dans le silence de l'appartement, conscients de ce qu'ils faisaient mais incapables de s'arrêter.
Le baiser était désespéré, chaotique, leurs mains se cherchant, hésitant entre s'attirer et se repousser. Ils s'accrochèrent l'un à l'autre comme à une bouée, pris dans une tempête d'émotions qu'ils ne comprenaient pas.
Finalement, ils se séparèrent, haletants, incapables de se regarder dans les yeux. Gabin recula brusquement, presque comme s'il avait été brûlé.
- C'est pas... commença Gabin, mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Il secoua la tête, furieux contre lui-même. Putain, je ne suis pas venu pour ça. Qu'est-ce qu'on fout ?

Le silence après leur baiser était devenu lourd, mais cette fois, ni Gabin ni Sacha ne bougèrent pour s'en éloigner. Leurs respirations étaient saccadées, leurs corps tendus, mais ils savaient tous les deux que, malgré tout ce qu'ils pourraient dire ou prétendre, quelque chose avait irrémédiablement changé.
Sacha chercha le regard de son ami, incertain de ce qui se passait dans sa tête. Mais il restait figé, comme s'il luttait intérieurement, ses yeux rivés sur ses lèvres à lui, toujours brûlantes de leur étreinte. Cette tension entre eux ne cessait de croître, jusqu'à devenir insupportable. Sacha fit un pas en arrière, prêt à dire quelque chose, mais Gabin brisa soudain la distance, attrapa son poignet avec une détermination inattendue
- Je peux pas... je peux pas continuer comme ça, murmura-t-il, sa voix rauque, presque tremblante.
Mais contrairement à ce qu'on aurait pu croire, il ne reculait pas. Ses doigts s'agrippaient avec plus de force à son bras, comme s'il refusait de le laisser partir. Sacha, déstabilisé, le regarda fixement. Il aurait dû dire quelque chose, faire une blague pour alléger l'atmosphère, mais aucun mot ne semblait approprié. Et soudain, sans vraiment comprendre pourquoi, il se retrouva à avancer à nouveau vers lui, son cœur battant à tout rompre, poussé par une envie incontrôlable.
De nouveau, ils se retrouvèrent, leurs lèvres se cherchant encore une fois avec une urgence presque désespérée. Ce n'était plus un simple baiser, ce n'était plus hésitant. Cette fois, leurs corps réagissaient d'eux-mêmes, incapables de contenir cette tension, cette pulsion trop longtemps réprimée. Les tee-shirts ne tardèrent pas à rejoindre le sol et leurs torses chauds se collèrent l'un à l'autre. Sacha étouffa un gémissement en sentant les lèvres de Gabin sur sa nuque, son souffle brûlant contre sa peau. C'était irréel. II ne reconnaissait plus son propre corps, réagissant comme s'il n'avait jamais su que cette part de lui existait. Mais tout ça lui semblait si naturel, si nécessaire.
Gabin le poussa contre le mur avec force, leurs mouvements se faisant plus insistants, plus désordonnés. Aucun des deux ne savait vraiment ce qu'ils faisaient, mais la tension entre eux, cette passion si brutale et imprévue, leur dictait tout. Sacha glissa une main tremblante le long du ventre de Gabin, la tête embrouillée par ce qu'il était en train de faire. C'était impossible, inimaginable... mais tellement bon. Il n'y avait plus de réflexion, seulement des sensations, des impulsions. C'était intense, brutal, comme une collision inévitable. Ils s'accrochaient l'un à l'autre, la respiration hachée, leurs gestes de plus en plus fiévreux. Il sentit ses doigts glisser plus bas, et son ami ne le repoussa pas. Au contraire, il se cambra légèrement, sa respiration se transformant en une série de halètements incontrôlés.

Le moment fut court, presque irréel, et encore meilleur que la dernière fois. Mais une fois terminé, le silence s'imposa de nouveau. Ils se détachèrent lentement, leurs respirations encore erratiques, la peau moite sous le choc de ce qu'ils venaient de vivre. Mais cette fois, aucun des deux ne jura.
Ils étaient là, essoufflés, toujours proches, mais incapables de se regarder en face. Gabin s'éloigna de quelques pas, passant une main tremblante dans ses cheveux en bataille, l'air hagard. Sacha resta contre le mur, les bras ballants, le cœur battant toujours trop vite, l'esprit embrouillé.
Aucun des deux ne disait un mot. Ils savaient que parler maintenant ne changerait rien. Ils étaient déjà allés trop loin, trop profondément dans ce qu'ils prétendaient être un simple égarement.
Enfin, Gabin rompit le silence.
- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda-t-il d'une voix basse, presque brisée.
Sacha n'avait pas la réponse. Tout ce qu'il savait, c'est que quoi qu'ils décident de faire, ça ne pouvait pas s'arrêter là.

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