6. Perdus

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La tension dans l'appartement était presque étouffante. Les murs semblaient se refermer autour d'eux, comme pour accentuer l'étroitesse de la situation. Les mots étaient coincés dans leur gorge, lourds et gênants.
Gabin debout, fixait le sol, mâchoire serrée, visiblement perdu. Il essaya de partir, mais changea d'avis à la dernière seconde, revenant s'asseoir, plus perturbé que jamais. Dans un murmure, il répéta sa question.
- C'est toi qui es en couple, Gabin, lâcha Sacha d'une voix basse, presque coupante. C'est à toi de décider ce que tu veux faire.
Il le fixa droit dans les yeux, comme pour le défier. Gabin resta silencieux quelques secondes, déconcerté.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ?
Le jeune homme sentit son estomac se nouer. Il n'avait pas voulu le dire de cette manière, mais maintenant que c'était lancé, il devait assumer.
- Je veux dire que c'est toi qui as une copine. C'est toi qui as quelque chose à perdre.
Gabin fronça les sourcils, comme s'il essayait de comprendre où Sacha voulait en venir.
- Et toi ? demanda-t-il finalement, une pointe d'étonnement dans la voix. Ça veut dire quoi, ça ? Que tu veux... quoi ? Une relation ? Toi et moi ?
Sacha se raidit immédiatement, secouant la tête vivement, presque paniqué.
- Non, non, pas du tout ! Je n'ai jamais dit ça.
Il se sentit soudain pris au piège par ses propres paroles.
- Alors c'est quoi, Sacha ?
Gabin insistait, le regard perçant, cherchant désespérément des réponses.
- Parce que moi non plus je comprends pas. On s'embrasse, on fait ces trucs, mais tu dis que c'est moi qui dois choisir. Ça veut dire quoi ? Que t'es prêt à continuer si je décide de... de quoi au juste ?
Sacha déglutit difficilement, fuyant le regard de son ami. Il n'avait jamais envisagé la question sous cet angle, parce qu'il refusait de l'affronter. C'était plus simple de tout mettre sur son dos, de dire que c'était à lui de faire un choix. Mais la vérité, c'est qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il voulait vraiment lui-même.
- C'est pas ça, finit-il par murmurer, presque dans un souffle. C'est juste que... t'as une copine, et moi j'veux pas être celui qui fout tout en l'air.
Gabin éclata d'un rire nerveux, sans joie.
- Putain, Sacha... Tu crois que c'est pas déjà le bordel, là ?!
Il secoua la tête, ses mains crispées sur ses genoux.
- On a déjà franchi cette foutue ligne, et toi tu dis que c'est à moi de décider ? Mais qu'est-ce que tu veux, toi, putain ?!

Sacha se renfrogna, le cœur battant. Ce qu'il voulait... Il n'en savait rien. Chaque fois qu'il le revoyait, cette attirance montait en lui, irrésistible, mais dès qu'ils se touchaient, il se retrouvait tout aussi paumé que lui. C'était troublant, déstabilisant, et il n'arrivait pas à mettre des mots dessus.
- J'en sais rien, finit-il par lâcher, défait. J'en sais rien, Gab.
Il frotta son visage de ses mains, frustré.
Un silence pesant s'installa à nouveau. Son ami le fixait toujours, cherchant visiblement une réponse qu'il n'allait pas trouver ce soir.
- Et si on arrêtait ? proposa Gabin soudainement, la voix plus calme, mais avec une certaine amertume. On fait comme si rien s'était passé. Plus de baisers, plus rien. On arrête là.
Sacha tourna lentement la tête vers lui, les lèvres entrouvertes. Il se sentait partagé. Une part de lui voulait dire oui, que c'était la solution, qu'il fallait revenir en arrière avant de tout détruire. Mais l'autre part, plus sourde, plus viscérale, savait que ce serait impossible. Qu'ils avaient déjà trop dépassé les limites.
- T'es sûr de pouvoir faire ça ? murmura Sacha, un brin de défi dans la voix, comme pour tester Gabin.
Ce dernier ouvrit la bouche, prêt à répondre d'un oui rapide, mais se figea. Il n'en était plus certain. Sacha avait raison. Ils avaient déjà essayé d'éviter ça une fois, et cela n'avait fait qu'empirer les choses.
- Je... j'sais pas, avoua-t-il finalement, brisé. J'sais plus rien, Sacha. J'ai juste l'impression qu'on va droit dans le mur.
Sacha ne répondit pas, mais il partageait ce sentiment. C'était une impasse. Que ce soit en arrêtant ou en continuant, ils allaient tout casser, d'une manière ou d'une autre.
- Qu'est-ce qu'on fait ? murmura-t-il à son tour, presque désespéré.
Sans réponse, il se leva, son cœur battant encore à l'idée de ce qu'ils venaient de vivre. Gabin était là, sur le canapé, l'air perdu dans ses pensées.
- Je ne sais pas quoi dire. C'est... compliqué. Puis, je suis avec Océane, tu le sais. Ça ne devrait pas se passer comme ça.
- Je sais, je sais, mais c'est déjà arrivé, non ? On a déjà essayé de l'ignorer, et ça n'a pas marché ! On peut pas juste mettre ça sous le tapis mec...
- Alors, qu'est-ce que tu proposes ? Qu'on s'embrasse à nouveau et qu'on passe à autre chose ?
- Je ne sais pas, admit Sacha, sa colère se muant en confusion. Non, mais je ne peux pas faire comme si de rien n'était. Ça ne peut pas être juste... ça.
- Alors, quoi ? On continue comme ça, en se cachant ? On attend que ça passe ? Je peux pas faire ça ! Je ne peux pas faire ça à Océane.
Sacha se laissa tomber sur le canapé, épuisé par la discussion, mais avec une tension toujours présente.
- Je suis fatigué de tout ça.
- Moi aussi. Peut-être qu'on devrait... juste prendre un peu de temps.
Il acquiesça lentement, mêle s'il savait que le temps ne résoudrait pas les choses. Ils en étaient déjà là.
- Tu veux dormir ici, ou... ?
- Ouais, je veux bien. Mais... Je vais prendre le canapé, si ça te va.
- D'accord, répondit-il, à la fois soulagé et déçu.
Ils se regardèrent un moment, l'intensité des émotions non dites flottant entre eux.
Après seulement quelques minutes, les deux amis étaient couchés, chacun de leur côté, le porte ouverte entre les deux pièces. Sacha se coucha, fermant les yeux, se demandant combien de temps ils pourraient vivre ainsi, sans vraiment comprendre ce qui leur arrivait.
Le silence s'installait à nouveau, mais Sacha sentait qu'il devait aborder un dernier point, un point qui le tourmentait.
- Gabin, commença-t-il, sa voix hésitante mais assez forte pour qu'il l'entende. Si Océane n'était pas là... Si, je sais pas, si elle ne faisait pas partie de l'équation, qu'est-ce que tu ferais ?
Il entendit son ami bouger dans le canapé qui grinça.
- Je ne sais pas, finit-il par dire, un peu trop vite. Ça ne change rien, en fait.
- Ça ne changerait rien pour toi ? insista Sacha, se redressant sur le lit, la curiosité mêlée à une nervosité palpable. Tu penses vraiment que ça ne jouerait pas sur tes décisions ?
- Écoute, Sacha, commença Gabin, visiblement mal à l'aise. Océane est là, c'est... c'est une réalité. On ne peut pas juste ignorer ça.
Dans son lit, Sacha secoua la tête.
- Je ne te demande pas de l'ignorer. Je veux juste comprendre. Est-ce que tu penses que si elle n'était pas là, on... on ferait les choses différemment ?
- J'en sais rien, d'accord ? coupa-t-il, sa voix un peu plus forte, révélant une frustration semblable. Non, non ça ne changerait rien. On est potes, merde. C'est trop compliqué.
- On était potes Gab. Si on était encore potes, je te laisserai pas dormir sur ce canapé en cuir trop vieux et trop petit.
- Tu sais très bien pourquoi j'ai pris le canapé.
- Oui. Mais tu vois bien que tu te contredis.
Gabin soupira bruyamment.
- Ok, je me contredis. Mais je ne peux pas dormir à côté de toi alors que je suis toujours en couple avec Océane. C'est pas honnête.
- Donc tu viendrais si tu n'étais plus avec elle ?
C'était plus une affirmation qu'une question.
Le canapé grinça de nouveau. À sa grande surprise, il entendit des pas sur le parquet qui se rapprochèrent. Quelques secondes plus tard, son ami se glissait à ses côtés.
- Ça ne veut rien dire, ok ? Ton canapé, il est juste trop pourri. Je pourrais jamais dormir.
Sacha ne put s'empêcher de réprimer un sourire.
- Ok, ok. Si ce n'est que le canapé alors...
- Ta gueule.

Le lendemain matin, Sacha s'éveilla dans une lumière douce filtrant par les rideaux. Il tourna la tête vers l'homme endormi à ses côtés. Leur nuit avait été marquée par une tension palpable, mais ils avaient finalement trouvé un semblant de répit en partageant le lit, sans que rien ne se soit passé.

Il ne pouvait s'empêcher de ressentir un mélange de soulagement et d'angoisse. La proximité de Gabin, sa chaleur, la façon dont ils s'étaient retrouvés si près l'un de l'autre, était troublante. Mais le souvenir de leur discussion de la veille revenait le hanter, et il ne pouvait ignorer le poids de ce qu'ils avaient éludé.
- Gab, murmura-t-il doucement, espérant ne pas le réveiller brusquement.
Il ouvrit les yeux et le regarda avec une légère confusion avant que son visage ne se fige en une expression plus sérieuse.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il, un peu mal à l'aise.
- Rien, juste... tu veux du café ?
Sacha se leva pour quitter le lit, se sentant soudainement nerveux. Le café serait un bon moyen d'apaiser l'atmosphère. Gabin acquiesça lentement, mais il n'avait pas l'air convaincu.

Leur conversation restait encore en suspens, mais il savait qu'ils devaient en parler à un moment donné. Tandis qu'il préparait le café, Gabin s'adossait au comptoir, les bras croisés, l'air pensif.
- Écoute... Je me sens un peu bizarre, tu sais ? Tout ça est... compliqué.
- Je sais, répondit-il, évitant son regard. C'est pas facile.
- Peut-être qu'on pourrait... continuer à se voir, juste pour... je ne sais pas, passer du temps ensemble ? proposa Gabin, un peu hésitant.
- Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Sacha, le cœur battant à l'idée de ce que cela impliquait, mais sans oser le formuler.
- Je sais pas, je veux pas qu'on arrête de se voir, même si... enfin, avec Océane...
La mention de sa copine pesait lourdement sur leurs épaules.
- Ça va être difficile, tu sais. Je veux dire, avec elle.
- Ouais, acquiesça son ami, la voix plus basse. Mais avec toi, c'est différent.
- C'est à dire, "différent" ?
- Tu sais... C'est pas pareil que si... Enfin, c'est toi quoi.
- C'est toujours tromper quelqu'un, Gabin, même si c'est avec un gars.
Sa voix était ferme, même s'il ne se voulait pas accusateur. Gabin se frotta le cou, visiblement mal à l'aise.
- Je sais mais... C'est physique, tu comprends ? C'est pas comme si tous les deux, enfin... Tu penses que je devrais lui dire ? demanda-t-il, l'air sérieux.
- C'est à toi de décider, mais... je ne sais pas, ça pourrait tout changer.
- Je... je dois rentrer. On se tient au courant.
Il se leva pour finir de s'habiller et de récupérer ses affaires, l'atmosphère entre eux chargée de ce qu'ils n'osaient pas dire. Sacha tenta de détourner le regard, se concentrant sur le café qu'il venait de préparer, mais il sentait sa présence comme une vague d'énergie palpable.
Lorsqu'il fut prêt, il se tourna vers lui.
- On... on se voit bientôt ?
- Ouais. Ouais, bien sûr.
Dans l'encadrement de la porte, ils échangèrent un dernier regard chargé de promesses. Puis, dans un mouvement presque instinctif, ils s'étreignirent brièvement, leurs corps s'effleurant avec une intensité qui le laissa ébranlé. Quand ils se séparèrent, Sacha ne put s'empêcher de déposer un baiser rapide sur ses lèvres, qui les fit rougir tous les deux.
- À plus, murmura Gabin avant de sortir.

Vision NocturneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant