7. Confidences

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Les jours qui suivirent furent marqués par une tension persistante. Chacun d'eux avait l'impression d'être à la fois proche et terriblement éloigné de l'autre. Ils gardaient contact, mais chaque message échangé était teinté d'une nervosité palpable. Sacha sentait qu'ils étaient en train d'emprunter une pente glissante, mais une part de lui désirait ce contact, même si cela devait rester secret.
Puis, après seulement quelques jours où ils avaient tenté de garder leurs distances, ils se retrouvèrent. Puis de nouveau quelques jours plus tard, et encore une fois quelques jours après. Ils se donnèrent rendez-vous régulièrement, souvent en soirée, juste assez pour satisfaire une curiosité insatiable. Lors de leurs rencontres, la passion entre eux semblait grandir, alimentée par des touches furtives et des regards chargés de sens. Les deux hommes commençaient toujours par une discussion banale, comme pour oublier la raison de leur rencontre. Mais cela finissait toujours de la même manière : les mains devenues trop baladeuses et les lèvres rouges de passion. Ils savaient que ce qu'ils faisaient n'était pas juste, mais la tentation était trop forte. Chaque moment partagé se transformait en une danse subtile entre l'attirance et la culpabilité.
Gabin tentait souvent de rationaliser ces rendez-vous, se convainquant que ce n'était pas de la trahison s'il n'en parlait pas à Océane. Il répétait que c'était différent, mais la réalité était qu'il ne pouvait s'empêcher de se sentir coupable. Les excuses qu'il trouvait pour se justifier se révélaient de plus en plus fragiles. Malgré tout, chaque rencontre était une nouvelle occasion de céder à cette tension qui les consumait, les rapprochant davantage même si cela devait rester caché.

Ce soir-là, Gabin arriva chez lui, agité. Sacha prétendit ne pas le remarquer, vu que son ami semblait décidé à ne rien dire. Puis, après une conversation inutile qui s'éternisait, il craqua :
- Tu vas me dire ce qu'il se passe ?
- Rien, pourquoi ?
- C'est déjà bientôt minuit mec... D'habitude, à cette heure-ci, on a déjà fini.
Il regretta instantanément son choix de mot.
- Déjà fini ? Donc si je viens chez toi, c'est pour que t'aies ta petite branlette et c'est tout ?
Aussitôt, il mit une main sur sa cuisse pour tenter de le calmer.
- Pardon, pardon. Je voulais pas dire ça. Vraiment pas. Tu sais bien que... T'es mon pote, ok ? Je vois bien quand ça va pas.
Heureusement, la colère de Gabin redescendit aussi vite qu'elle était montée. Il dégagea tout de même sa main, sûrement gêné. C'était souvent le cas. Malgré leurs nombreuses relations charnelles, aussi intimes soient-elles, ils gardaient une certaine distance physique entre eux, plus stricte encore que lorsqu'ils étaient "juste potes".
- J'ai... J'ai quelques soucis avec Océane.
Le cœur de Sacha bondit. Avait-elle découvert leur secret ? Tout le monde était-il déjà au courant ?
- C'est-à-dire ? Elle sait ?
- Non, non... Elle bosse beaucoup en ce moment, donc elle sait même pas quand je ne suis pas à l'appart. Mais, elle a déjà parlé d'emménager ensemble tu sais. Enfin, c'était il y a quelques semaines, avant que... Enfin bref, ce n'est pas le sujet.
- On fera comment si vous emménagez ensemble ?
- Ce n'est pas le cas Cha ! Et si on emménage ensemble, ce sera peut-être temps qu'on arrête nos conneries. C'est tout.
Il marqua le coup. Un poids vint se loger dans son ventre, imposant et lourd. Mais il n'en montra rien.
- Bon, tu vas me dire ce qu'il se passe alors ?
- Je... J'arrive plus à... Être avec elle.
- Comment ça, "être avec elle" ? Tu ne l'aimes plus ?
- Si... Je veux dire... Quand on veut... Je n'y arrive plus.
Son ami avait beau essayer des mouvements de tête insistants, il n'y comprenait rien.
- Explique-moi Gab.
- Cha...
Puis ce fut comme une étincelle.
- Tu ne bandes plus ?
Gabin écarquilla grands les yeux et rougit d'un coup. Il tourna la tête pour éviter son regard.
- T'es pas obligé de dire ça comme ça.
- Pardon, désolé. Mais... C'est ça ?
- Oui... En gros.
Il eut envie de rire mais il se contint en voyant son ami aussi paniqué. Pendant un moment, il ne vit plus son amant, l'objet de ses fantasmes, mais son meilleur pote en détresse.
- Comment ça se fait ?
- Tu sais bien. C'est à cause de... De nous.
Le "nous" résonna drôlement à ses oreilles.
- Oh.
Jusque là, il n'avait jamais réfléchi au fait que Gabin devait continuer d'avoir des relations intimes avec sa copine, alors même qu'il venait régulièrement le voir pour la même chose. Cette idée le mit mal à l'aise. Malgré tout, il demanda :
- Tu veux... Tu veux qu'on arrête ?
Il tenta un certain détachement, comme si cette décision l'impactait peu. Mais son ami réagit vite, très vite :
- Non ! Non surtout pas. Enfin, je veux dire, ce n'est pas la peine. Je pense pas que ça résoudrait quelque chose, au contraire. Quand on se voyait la veille, toi et moi, par exemple, c'était plus simple, je sais pas pourquoi. Mais quand ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vu et que je devais... Enfin quand on allait... Je ne sais pas mec, ça ne marchait pas. J'en avais pas envie. J'avais juste envie de toi.
La dernière phrase le mit dans un état second. Mais il se reprit pour dire :
- Mais ça fait combien de temps ?
- Mais depuis le début... ou presque. C'est juste que là, c'est vraiment régulier. Il y a quelques jours, j'ai vraiment pas réussi, alors qu'elle a tout essayé. Puis je t'ai vu, donc je me suis dit que c'était bon, que j'allais pouvoir... recommencer. Mais, encore une fois, j'ai pas réussi. J'ai dit que c'était la fatigue, le boulot, tout ça, mais je sais pas si elle m'a cru. Elle a rien dit, évidemment. Elle m'a dit que c'était pas grave et tout mais...
- Je sais pas quoi te dire Gab. Quand tu la regardes tu...
Il s'interrompit sans savoir comment finir sa phrase. Il haussa les épaules puis demanda vainement :
- Tu peux pas lui demander de faire des trucs que t'aimes vraiment ? Genre, je sais pas... Je sais pas ce que t'aimes.
Il bégaya un peu. En vérité, les "rendez-vous" avaient été assez similaires et ils n'étaient jamais sortis des sentiers battus. Comme depuis toujours, il ne connaissait pas les plaisirs et les fantasmes de son ami.
- Si, c'est ce qu'elle a fait. Je veux dire, tu sais... Comme ce que t'avais vu, le premier soir.
Sacha baissa les yeux, trop gêné. Mais Gabin continua :
- En général, ça marche toujours. C'est tout con, mais... ça n'a jamais manqué mec. Même quand j'étais crevé ou bourré.
Il avala sa salive, mal à l'aise.
- Pardon, je n'aurais pas dû te parler de ça.
- Si mec, ne t'en fait pas. Je suis là pour ça. Surtout si c'est... enfin... Je suis désolé, j'ai pas vraiment de conseil à te donner.
- Je sais.
- J'ai pas... J'ai pas vraiment envie qu'on arrête de se voir, tu vois. Mais je comprends, si tu préfères...
- Non, je t'ai dit. Avec toi, c'est pas pareil. Puis... on peut pas trop faire autrement, si ? Je veux dire... Ça fait bien dix ans qu'on est potes, on va pas arrêter de se voir. Et visiblement, on est incapables de se voir sans... Enfin t'as compris.
- Ouais.
- Ouais.
Le silence se fit. Ne sachant que faire, Sacha demanda piteusement :
- Tu veux prendre une douche ? Ça peut te faire du bien.
- Ouais. Ouais, ok, t'as raison. Tu viens avec moi ?
Il retint un mouvement de recul, surpris. Il bredouilla avant de répondre en se levant :
- Euh, ouais.
Ils ne s'étaient jamais lavé ensemble. En vérité, après le moment passé, la pudeur reprenait toujours le dessus. Ils allaient souvent se laver chacun de leur côté et se rhabillaient de la tête aux pieds, évitant les regards indiscrets. Gabin sembla soudainement gêné et finalement, secoua la tête comme pour retirer ce qu'il venait de dire :
- Enfin, je voulais dire... T'es pas obligé de... Non, je devrais y aller seul. C'est trop bizarre.
Il évita de montrer sa déception et fit mine de se rasseoir :
- C'est comme tu préfères.
- Je sais pas. Tu veux ?...
Sacha évita son regard et haussa les épaules :
- Bah... Ouais.
Ils furent tous les deux peu à l'aise de se déshabiller devant l'autre. Bien sûr, ils l'avaient déjà fait, mais toujours dans un moment de passion incontrôlée, dans une hâte furieuse, pas dans une scène banale de la vie quotidienne. Alors, ils évitèrent de se regarder, et Gabin manqua de trébucher en enlevant ses chaussettes.
Nus comme des vers, Sacha dit, peu confiant, avant d'entrer dans la douche :
- Je vais faire chauffer l'eau, attends.
Il fit couler un jet glacé sur ses orteilles, sans rien ajouter, puis lui fit signe de venir lorsque l'eau fut tiède. Son ami entra maladroitement, en évitant de le toucher malgré l'étroitesse de la cabine. Chacun, de son côté, se mouilla puis se lava consciencieusement, en limitant les gestes pour ne pas trop se retrouver face au corps nu de l'autre. Pour se rincer, Sacha accrocha la paume de douche au mur, pour qu'ils puissent tous les deux profiter de l'eau tiède, et enfin, Gabin décrocha un sourire.
- Ça fait du bien.
Ses cheveux mouillés semblaient beaucoup plus longs et descendaient gracieusement le long de sa nuque, et ses yeux noisettes pétillaient sous ses longs cils humides. Ses lèvres fines, toujours étirées en un beau sourire, laissaient apparaître une petite fossette plus haut sur sa joue. Il n'eut pas à le regarder longtemps pour que ça lui fasse de l'effet. Rapidement, son sexe se dressa contre sa volonté, et manqua de toucher le bassin de Gabin qui n'était qu'à quelques centimètres. Il n'en fallut pas plus pour que ce dernier le remarque.
- Désolé...
- Fallait s'y attendre.
À son plus grand soulagement, son ami ne laissa pas la gêne s'installer et posa une main sur ses hanches, dans une douce caresse. Peu à peu, son sexe aussi se tendit. Leurs corps se collèrent lentement, s'enlaçant sous l'eau de la douche. Après quelques secondes seulement, il sentit une main entreprenante, se posant sur son entrejambe.
- Attends... dit Sacha. On devrait aller dans le lit plutôt.
- T'es sûr ? C'est bien sous la douche, c'est même plus pratique.
Il avala difficilement sa salive avant de lui chuchoter à l'oreille :
- C'est trop étroit pour ce que je veux faire.
Le jeune homme le regarda en fronçant les sourcils mais ne posa aucune question. Ils se séchèrent très rapidement avant de se diriger d'un pas rapide vers la chambre. Au pied du lit, Sacha poussa légèrement son ami pour qu'il s'asseoit, et, lentement, se mit à genoux devant lui. Gabin, les joues roses, le regarda faire, la respiration haletante.
- Non, si tu veux pas...
Évidemment qu'il voulait, il en avait envie depuis qu'il en avait parlé. Il n'était pas trop sûr de comment s'y prendre, mais il avait assez d'expérience pour savoir ce qui lui plaisait lui, lorsqu'il était de l'autre côté. Sans trop se poser de question, il prit le sexe de son ami entre ses mains, puis le prit en bouche. Gabin eut un soubresaut et son buste tomba lourdement contre le lit. Étonnamment, Sacha n'y trouva aucun goût et se surprit à plutôt apprécier ce membre lourd et chaud dans sa bouche. En s'aidant de sa langue, il faisait de long va et viens langoureux, en écoutant les soupirs rauques que Gabin laissait échapper. De temps en temps, il reprenait le sexe en main et se contentait d'en titiller le bout avec sa langue, ce qui semblait le rendre fou. Lui-même très excité, il alla de plus en plus loin, le poussant plus profondément vers sa gorge. Au bout d'à peine deux ou trois minutes, Gabin avertit d'une voix cassé :
- Enlève toi, je vais bientôt...
Sacha comprit aussitôt, retira sa bouche directement et se coucha à ses côtés pour reprendre avec ses mains, avant que son ami vienne sur son propre ventre. La respiration haletante, les membres tremblotants, il réussit à marmonner :
- Désolé, je tiens plus longtemps normalement... Mais là...
Il lui fallut un moment pour reprendre ses esprits, pendant que lui continuait de lui caresser le bras, le torse. Il était toujours dur et avait tellement envie de se vider, lui aussi. Enfin, Gabin sembla le remarquer et commença à le caresser distraitement. Encore un peu essoufflé, il murmura :
- Ça fait quoi ?
- De quoi ?
- Ce que tu viens de faire... Ça fait comment ?
Il hésita, ne sachant quels mots utiliser.
- C'est... naturel. Bizarrement. Puis, ça n'a pas trop de goût. En tout cas, pas là. C'est... assez agréable.
Sa voix s'étrangla sur le dernier mot, en partie parce que les mains de son ami s'égaraient sur ses testicules.
- Je peux... essayer ?
Il ne s'y était pas attendu, mais acquiesça immédiatement :
- Si t'as envie...
Il n'eut pas besoin d'en dire plus. Gabin se mit à califourchon sur ses jambes et de pencha rapidement au niveau de son sexe. Il dit hésiter grandement, car pendant un moment, Sacha ne sentit plus rien. Mais il n'osait pas regarder. Puis, presque brusquement, il le prit en bouche. La sensation fut si intense qu'il aurait pu venir, là, instantanément. Mais il se retint pour faire durer le plaisir un maximum. Les coups de langues étaient précis, affûtés, jouissifs. Gabin continuait de le caresser avec ses mains, l'excitation venait de toute part. Il avait envie de donner des coups de hanche en avant, pour que son ami le prenne entièrement, mais il se maîtrisait, le laissant mener la danse à sa guise. Il sentait son corps emporté par des vagues de pur plaisir, de plus en plus puissante. Quand il voulut baisser la tête pour l'observer, il ne s'attendait pas à croiser son regard, et cette vision eut raison de lui.
Il commença à dire :
- Attends...
Mais c'était trop tard, il ne put se retenir et éjacula dans sa bouche. Gabin eut un vif mouvement de recul, une moue étrange sur le visage, et continua d'une ou deux caresses de la main, avant de se lever pour se retirer dans la salle de bain. Quand il put reprendre sa respiration, Sacha se redressa et dit d'une voix assez forte :
- Gab ? Je suis désolé, je voulais pas...
Son ami revint dans la chambre, une serviette verte nouée autour de la taille, silencieux. Il insista :
- Je suis vraiment désolé Gabin, je te jure que j'ai voulu te dire mais...
- T'inquiètes, je sais. Ça arrive.
Pour appuyer ses dires, il s'assit à côté de lui et posa une main rassurante sur sa poitrine.
Il restait tout de même très gêné.
- T'as... t'as aimé quand même ?
Gabin eut un petit rire.
- Oui, oui c'était plutôt... bon. Même la fin, enfin je veux dire, je veux pas forcément que ça arrive à nouveau, mais... Ça ne m'a pas dégoûté comme je l'aurais pensé quoi.
- C'était vraiment pas fait exprès...
- Je sais, je sais. Vraiment, je te crois.
Sa culpabilité ne disparut pas, mais il se sentit tout de même un peu soulagé. Instinctivement, il replia le drap sur lui pour cacher sa nudité.
L'air soudainement épuisé, son ami se vautra dans le lit dans un long soupir.
- Bon, maintenant je suis sûr que le problème ne vient pas d'en bas, dit-il, il vient d'ici !
Il toqua sur son crâne du bout de son index. Sacha réprima un sourire :
- Tu t'en doutais, non ?
- Oui...
- Tu sais ce que tu vas faire ?
- Pas vraiment. Pour l'instant, ça peut passer. Mais si ça dure...
- Ça va être compliqué.
- Ouais.
Sacha hésita.
- Et, euh... Si t'as plus envie d'elle, t'as quand même envie d'autres meufs ou...
- Non ! Je pense jamais à d'autres meufs.
- D'autres gars ?
Il se prit un oreiller en pleine figure.
- Non ! T'es vraiment trop con. J'ai jamais pensé à d'autres gars, jamais de la vie.
- Pardon, je déconnais. J'essaie juste de comprendre d'où vient le problème. Quand tu fais ça tout seul, tu pense à quoi ?
- Je sais pas, entre toi et Océane, ça fait des lustres que j'en ai pas eu le temps ou l'envie.
Gabin rougit aussitôt de sa confidence et Sacha sentit son cœur se serrer en l'entendant dire ça. Il n'aimait vraiment pas l'entendre parler de ses rapports avec Océane, surtout en les mettant dans le même panier que les leurs. Il garda le silence.
- De toute façon Cha, tu sais très bien d'où il vient, le problème.
- C'est moi le problème ?
- Dis pas ça comme ça...
- Mais c'est moi.
- Oui. Mais c'est pas ta faute. Ma bite ne se lève plus que pour toi apparemment. C'est comme ça. Je sais pas, peut-être que mon cerveau a besoin de changement. Je comprends pas.
- Je sais pas quoi te dire.
Il l'observa un instant et réprima l'envie de lui passer sa main dans ses doux cheveux bouclés.
- Dis moi juste... Toi, t'as vu d'autres filles depuis que... Depuis que nous deux on...
- Non, pas du tout. Tu me connais, j'ai pas envie de coups d'un soir. J'ai besoin d'une vraie relation, sinon ça marche pas. Puis vu la situation, c'est pas vraiment le moment pour une "vraie" relation.
- C'est sûr...
La conversation s'arrêta là et les deux amis s'endormirent côte à côte, des questions plein la tête.

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