12. Distances

9 2 0
                                    

Ils dormirent séparément cette nuit-là, chacun chez soi. Enfin, dormir était un grand mot. Sacha était étendu dans son lit, sur le dos, les yeux grand ouverts. De temps en temps il se laissait aller à une nouvelle vague de larmes, jusqu'à en être épuisé, vidé. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, comment il avait pu en arriver là.
Régulièrement, il regardait son téléphone, appréhendant des messages de ses amis. Mais rien ne vint. Gabin non plus ne donna pas de nouvelles. Le lit lui semblait vide et froid. Il savait qu'il aurait tout donné pour l’avoir dans ses bras et se réchauffer tout contre lui.
Le soleil se levait quand il s’endormit enfin. On était dimanche. Après quelques heures seulement, il entendit son téléphone vibrer mais il était encore trop ensommeillé pour réagir. Ce ne fut qu'au bout de la sixième vibration qu’il ouvrit un œil, puis l’autre, et regarda les notifications de son portable. Océane avait parlé.
“C’est sérieux ce qu’Océ raconte ? Mec dis moi que c'est des conneries”
“Salut Cha, avec Ju on a appris pour Gabin et toi. On sait pas toute l'histoire, on vous juge pas promis, et si jamais vous voulez en parler, on est là”
“T’es vraiment un connard. Franchement je m’en fous que tu te tapes des mecs maintenant. Mais faire ça à Océane ?! Vraiment ?! Compte plus sur moi”
“Yo, Océane raconte partout que toi et Gab vous baisez ensemble. Jsais pas si c'est vrai mais je préférais te tenir au courant”
“T’es pédé maintenant ?”
“Je sais pas si tu sais mais Océ a dit ce qu’elle a vu… Perso je m’en fous. Appelle-moi”
Il les lut tous à la suite les uns des autres, sans y répondre. Il s'était attendu à avoir plus de messages, quoi que ce n'était que le début. D'ici quelques jours, la plupart de ses amis et connaissances serait au courant. Peut-être que seule sa famille serait épargnée, car pas en contact avec ces gens-là.
Gabin lui, demeurait silencieux. Pourtant, c'était la seule personne qu’il avait envie d’entendre, la seule personne qu’il souhaitait près de lui.
Il ne reçut pas d’autres messages dans la journée. Après tout, peut-être que les gens comprenaient que tout ça n'était pas leurs affaires, ou simplement, malgré la curiosité, ils n’osaient pas demander au principal intéressé. Il était près de vingt heures quand enfin, son téléphone sonna.
— Gab ?
— Allô Cha ? T’as vu ça ?
Il ne répondit pas de suite, hésitant.
— Oui. C'était prévisible.
— J’arrive pas à croire qu’elle a tout balancé. T’as reçu des messages ? Qui t’a contacté ?
— Plusieurs personnes… On s’en fout non ?
Il était las, se battre ne l'amusait plus.
— On s’en fout ? Bah pas vraiment, on va leur répondre quoi ?
— Je sais pas Gabin… On peut pas faire grand chose.
— Donc on leur dit rien ?
— Tu veux leur dire quoi ? Que c’est faux ? Même si t’arrives à en convaincre quelques-uns, tu ferais passer Océane pour une menteuse ou une folle. Je pense pas que t’es envie de ça.
— T’as raison.
— Ouais, laisse tomber.
— T’es sérieux ? On dirait que tu t’en fous.
— Ce qui est fait est fait. C'est trop tard de toute façon.
Un long silence lui répondit. Il avait les yeux secs dorénavant, mais il se sentait épuisé et surplombé par une tristesse écrasante.
— Tu veux qu'on fasse quoi alors ? T’es bizarre Cha.
Il soupira. La réponse lui semblait une évidence dorénavant. Elle s'était imposée à lui, brutalement, sans avertissement.
— Je sais pas. Je pense que… Je vais aller à Lyon, chez ma sœur, pendant un moment. Et je préfèrerai que tu ne m’appelles pas.
Gabin mit tellement de temps à répondre qu’il vérifia entre-temps si la connexion n’avait pas coupée.
— Comment ça tu vas aller chez ta sœur ? Tu me laisses seul ?
— Ouais, c’est mieux comme ça.
— Comment ça, c’est mieux ? Tu me laisses gérer toute cette merde, tout seul ? Je comprends pas là, Cha.
— J’ai besoin de prendre du recul, c’est tout.
— Mais du recul sur quoi ? Je sais que c’est un moment chiant à passer, mais après-
— Après quoi ? Après quoi, Gab ?
— Je sais pas… Sûrement que les rumeurs vont se taire, et que…
Il ne finit pas sa phrase.
— On pourra reprendre comme avant ?
— Bah ouais…
— Je préfère pas. Je suis désolé Gab, je pars.
— Mais pourquoi ? S’il te plaît, ne raccroche pas sans m’avoir dit pourquoi.
Le ton suppliant de son ami lui serra le cœur.
— Tu veux la réponse honnête ou la réponse que tu veux entendre ?
— Cha…
— La réponse que tu veux entendre c’est que c’est trop dur pour moi de voir mes potes me prendre pour un pédé, que je peux pas assumer cette relation devant eux, et que je me barre parce que je suis un lâche.
Gabin répéta son nom, dans un soupir. Puis il ajouta d’une voix faible :
— Dis-moi la vérité.
Sacha hésita, longuement, se sentant tiraillé de toute part.
— La vérité c’est que j’en peux plus de t’entendre dire que notre relation c’est “rien” ou “que des conneries”. La vérité c’est que j’ai voulu chialer quand t’as dit que c’était rien comparé à ce que t’as vécu avec Océane, que je suis jaloux d’elle de toute façon. La vérité c’est que la semaine qu’on a vécue, c’était la meilleure de toute ma vie, et que j’ai envie de t’avoir près de moi, tous les jours, je ne sais plus dormir sans toi. La vérité c’est que… j’en ai plus rien à foutre que tout le monde soit au courant, j’en suis même soulagé parce que j’en pouvais plus de ce secret. Et je sais très bien que c’est pas ce que tu veux entendre Gab, je suis désolé. Je suis désolé et c’est pour ça que je pars. Pour te laisser en paix et laisser tout ça derrière moi, une bonne fois pour toute.
Une infime partie de lui, même s’il ne se l’avouait pas, espérait que Gabin réagisse enfin, qu’il lui dise qu’il ressentait pareil depuis tout ce temps. Mais il n’en fut rien.
— Cha, me dis pas ça…
Des larmes coulèrent sur ses joues, il fut heureux que son ami ne puisse les voir.
— Tu m’as demandé la vérité. Je pars ce soir.
— Puis quoi ? Qu’est-ce qu’on va faire ensuite ? On se verra plus jamais, c’est ça ?
— J’en sais rien, j’espère pas. J’ai juste besoin de temps donc… Ne me contacte plus s’il te plait. Encore désolé, Gab. Je…
Il raccrocha avant de dire une bêtise.

Vision NocturneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant