Ovide

10 0 0
                                    


Nos corps en cercle autour du feu se trouvent sur une frontière. Une frontière entre les ténèbres inquiétantes des bois, et les lumières s'échappant de la maison. Une frontière entre la fête folle, le vacarme, la musique électro et le calme plat, le silence, les hululements nocturnes. Une frontière enfin entre l'énergie et le sommeil. Elle n'est pas visible mais se ressent en nous, ni totalement éclairés par le feu, ni totalement dans l'ombre des bois, ni vraiment bruyant, ni muets comme des tombes, ni totalement éveillés, ni dans un sommeil de plomb.

Andréa prend alors une branche de pin, et la jette au centre du feu, celui-ci vacille puis l'accepte en son sein. La flamme orangée brille dans ses yeux verts avant qu'elle ne prenne la parole. Elle a un sujet, ça se voit. Ça fait une petite minute qu'elle a décroisé ses bras et a incliné son corps vers l'avant. Elle scrute Flo, attend qu'elle finisse de parler. Comme ça, elle ressemble à un prédateur, prête à bondir sur sa proie.

Les conversations et sujets avaient d'abord été dictés par les astres stellaires et Auré qui nous refaisait professoralement le tour du propriétaire. « Là-haut, la Grande Casserole c'est la Grande Ourse, et là-bas le W c'est Cassiopée. ». L'admiration et les petites questions naïves d'Ellie nous avaient lancés lentement sur la piste du c'est loin. Puis Math prit le chemin du comment y aller. Continuant ensuite sur la longue route du « Sommes-nous seuls » et de sa lente déviation vers le « Pourrons-nous le vérifier ? ». Enfin nous arrivâmes sur la lande du « Quelle est notre place dans cet univers ? » Guidé par Jojo avant de finalement déboucher sur la rivière de « Notre place dans ce monde ». Chacun tout au long de la voie y allait de sa petite théorie, distribuant goutte à goutte les effusions de leur Gourde à Pensée.

Mais Flo vient d'arrêter de parler, alors qu'elle porte son verre à sa bouche Andréa saute sur le silence : « Vous vous êtes déjà vu changer ?

-Qu'est-ce que tu veux dire par ²se voir changer ?² ? lui demande Seb en posant ses yeux bleu clair dans ceux du fauve.

-Je veux dire. reprit-elle en souriant. Vous êtes tous conscients qu'on n'est pas la même personne tout au long de nos vies ? Si vous rencontriez le vous enfant, il n'aurait pas la même personnalité, n'agirait pas de la même manière et ne partagerait pas forcément vos valeurs. Mais y'a pas vraiment d'événements tranchés qui marquent ce changement de personnalité. D'où ma question, est-ce que vous vous êtes vu changer, est-ce que vous avez remarqué que vous étiez quelqu'un d'autre ? » Après quelques secondes de silence et un désagréable bruit de paille, Jojo se décide à prendre la parole.

-Je crois que je suis en train de changer en ce moment même, en fait, il marque une pause et passe son regard brun dans les nôtres tout en croisant ses mains, en fait c'est depuis que ma nièce est née. Je sais pas le moment où j'ai vu ses petites mains potelées, ses petits pieds battre l'air, puis de visite en visite la voir grandir tout doucement. Déjà ça m'a donné envie de me rapprocher d'eux, alors que le coin est complètement pourri, mais plus j'y passe et plus je le trouve sympa. Ensuite je le sens, j'ai moins envie de voyager. Je veux pouvoir être là pour eux, pouvoir la voir plus souvent, ne plus disparaître pendant six mois. Et puis, vous allez vous foutre de ma gueule mais ça m'a donné envie de fonder une famille.

Un éclat de rire général s'empare de nous, Sacré Jojo, lui qui a passé son temps à fuir les responsabilités. À saboter ces propres relations par peur de l'engagement, à nous rabâcher sans cesse qu'il n'était pas de ses hommes qu'on l'on enferme entre quatre murs avec des mômes, une femme et un SUV familial. Rien que de l'imaginer changer des couches, c'est trop pour nous tous. Et malheureusement pour lui, un « J'étais sérieux les gars, vous faites chier » sur un ton faussement offusqué ne suffit pas à arrêter les rires.

OvideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant