Chapitre 16 : L'ombre dans la pièce.

10 3 8
                                    

  L'inconnu déambulait nerveusement dans le hall d'entrée. Chaque pas résonnait comme une menace sourde dans le silence oppressant de la demeure. Ses pensées étaient un labyrinthe d'inquiétude, mais pas pour les raisons que l'on pourrait croire : ce n'était pas la fuite des garçons avec la possible approche de la police qui le tourmentait. Il savait qu'au milieu de l'immensité glaciale qui entourait les deux fuyards, la nature serait leur pire ennemi. Le froid de la nuit, implacable et mordant, aurait tôt fait de les faucher. Non, son inquiétude était bien plus personnelle, bien plus sinistre. Ce qui le tourmentait réellement était la fuite de son successeur. Le seul homme à qui il voulait transmettre les préceptes de son art. Son regard froid et déterminé, perdu dans l'obscurité de la nuit, trahissait cette inquiétude dissimulée sous une façade de contrôle. Les deux garçons, pris de panique, avaient réussi à s'échapper comme des rats quittant un navire qui coule. Il maudissait le temps qui filait, érodant la distance entre lui et son héritier. Il avait parcouru tout ce chemin pour le retrouver, et maintenant, il le voyait s'évanouir sous ses yeux. Désormais qu'il se savait traqué, le retrouver deviendrait bien plus difficile. L'effet de surprise, si minutieusement recherché, était définitivement perdu. Cela ne faisait que nourrir les satisfactions perverses en lui :

- Parfait. Ton ingratitude ne fera que précipiter les événements, murmura-t-il en se tournant vers les parents biologiques de son fils. 

  Non loin de là, Raphaël gisait sur le sol, son corps secoué de tremblements tandis qu'il gémissait de douleur. David l'avait touché en pleine poitrine. Le sang s'échappait de sa plaie béante, formant une flaque sombre qui s'étendait lentement sous lui. Vanessa, à genoux à ses côtés, luttait désespérément pour contenir l'hémorragie, ses mains tremblantes pressant des tissus désormais saturés de rouge. Chaque seconde qui passait augmentait son désespoir, la peur de le perdre grandissant dans ses yeux. 

  Mais les plaintes étouffées de Raphaël ne semblaient avoir aucun effet sur l'inconnu qui se tenait là, impassible, une silhouette inquiétante au cœur de la pièce. Une ombre sinistre, figée dans une indifférence glaciale. Son regard était froid, dépourvu de la moindre trace d'empathie, observant la scène comme un simple spectateur d'un jeu morbide. Pour lui, ils n'étaient que des pions, des obstacles insignifiants sur son chemin, des sacrifices nécessaires pour atteindre son but ultime : retrouver sa progéniture. Rien d'autre ne comptait.

  Vanessa, le souffle court, se répétait sans cesse, comme un mantra désespéré :

- Il lui faut un médecin. Vite. Appeler les secours...

 Ses gestes étaient désordonnés, imprécis. L'angoisse déformait ses pensées, noyant son raisonnement sous une vague de panique. Elle se sentait impuissante, prise au piège de son propre corps, incapable de porter secours à son mari. Chaque seconde s'étirait dans une lente agonie tandis qu'il gisait à ses pieds. Elle voulait bien faire. Mais la peur la submergeait entièrement, transformant sa terreur en un gouffre béant où tout espoir disparaissait.

  D'un geste brusque, l'inconnu agrippa Vanessa, la soulevant sans effort et la traînant de force vers une chaise. Elle se débattit avec une énergie désespérée, ses mouvements frénétiques trahissant la peur et la rage qui bouillonnaient en elle. D'une gifle retentissante, il la réprimanda avec une brutalité choquante.

- Bouge encore, et d'une, je lui fais un second trou dans la poitrine, et de deux, je t'arrache les cheveux, t'obligeant à me sucer la queue devant les yeux de ton mari, dont la vie disparait peu à peu. C'est joli comme dernière image avant de mourir, non ? 

  Elle ne prit aucun risque, laissant le silence s'abattre sur la pièce, brisé par la respiration entrecoupée de Raphaël. La menace planait dans l'air, tangible et insidieuse. Vanessa, résolue, mais terrorisée, restait presque immobile, laissant la peur et l'impuissance imprégner ses pensées. La gifle avait laissé une marque vive sur sa joue, une trace rouge qui se dessinait avec une netteté effrayante. La peau délicate de son visage, encore sous le choc de l'impact, commençait à enfler légèrement, laissant apparaître la silhouette des doigts du scélérat. La chaleur brûlante de la douleur pulsait sous la surface, et une légère teinte violacée commençait à se mêler au rouge vif, promettant un hématome qui ne tarderait pas à apparaître. Ses lèvres tremblaient sous l'effet de la douleur et de la rage contenue, mais ses yeux restaient farouchement ancrés dans ceux de son agresseur, lui montrant sa détermination.

- Tu sais, je n'avais pas spécialement prévu de tuer qui que ce soit ce soir. J'étais juste venu chercher ce qui me revenait de droit. Alors, je vais être encore un peu patient et te laisser le choix : Soit tu appelles mon fils caché dans la forêt, soit je m'occupe de toi et de ton mari.

  Vanessa connaissait trop bien la noirceur de David Dumont. Ses menaces n'avaient rien d'hypothétique, et jamais elle ne douta de sa capacité à les mettre à exécution. Mais malgré la terreur qui nouait son ventre, elle refusa de plier. Sacrifier ses fils était impensable. Ses mains tremblaient, mais sa détermination, elle, restait ferme. Le regard rempli de défi, elle s'approcha de lui avant de lui cracher au visage, la rage dans la voix.

-  Plutôt mourir que de vous livrer mon fils.

 L'acte de défi, empreint de désespoir et de bravoure, lui demanda une énergie colossale, chaque muscle de son corps se tendant sous l'effort. Elle se prépara mentalement à l'impact du prochain coup, son cœur battant à toute allure dans l'anticipation de la douleur imminente. Mais alors qu'elle s'apprêtait à subir les représailles, une voix inattendue fit irruption dans la tension palpable. Ce qu'elle avait d'abord pris pour une autre victime du criminel, recroquevillée dans un coin de la pièce, émit une demande distincte, tranchant l'air comme une lame. La voix, à la fois suppliante et résolue, fit sursauter l'inconnu, interrompant son geste brutal et attirant son attention. Vanessa, haletante et les yeux écarquillés, tourna la tête vers la source du son, espérant que cette interruption inattendue pourrait offrir une chance, même mince, de changer leur destin désespéré.

- On s'en fout du gosse, on ne peut pas juste s'amuser. Elle me plaît bien, celle-là, déclara Miranda en désignant Vanessa d'un regard teinté de malveillance.

  Assise dans l'ombre, elle avait été presque oubliée jusqu'à présent. Son apparence négligée, ses yeux injectés de sang, étaient le résultat d'une préoccupation plus intense pour la drogue que pour le drame qui se jouait. La drogue faisait son effet, distordant la réalité, attisant ses pulsions les plus sombres. Jusqu'à présent, elle avait été insouciante, indifférente à l'horreur qui se déroulait devant elle. Cependant, à cet instant précis, la jeune femme, jusque-là silencieuse et recroquevillée, semblait vouloir participer activement à la scène cauchemardesque qui se déployait. Vanessa, déjà éprouvée par la terreur, sentit un frisson glacé lui parcourir l'échine. La menace ne venait pas seulement de l'inconnu, mais également de cette alliée qu'elle avait d'abord prise pour une victime. La pièce, déjà imprégnée d'une obscurité sinistre, semblait prête à engloutir toute lueur d'espoir. Comment Miranda avait-elle pu en arriver là ?

« Chacun de nous peut devenir un monstre, c'est juste une question de circonstances. » 1







1 Albert Camus. 

Les Pivoines Du MalOù les histoires vivent. Découvrez maintenant