Les fragments de l'ombre

Chapitre 14 : l'attrape rêves

Les ténèbres qui s'épaississaient autour de Willow n'étaient plus seulement une menace distante. Le cercle des ombres, cette force invisible qui hantait ses pas et ceux de son jeune frère Aiden, se rapprochait inexorablement. Chaque jour, chaque instant, elle sentait la pression croître, comme si la forêt elle-même retenait son souffle. Ses deux fragments, mystérieux et d'une puissance indomptable, brûlaient parfois dans sa paume comme des avertissements silencieux. Mais ce n'était pas leur seule inquiétude. Aiden, son frère si cher, montrait des signes inquiétants depuis que les cours avec Yan avaient commencé. Ce dernier, énigmatique et distant, semblait avoir une emprise indéchiffrable sur lui. Aiden revenait souvent fatigué, l'esprit ailleurs, comme s'il portait sur ses jeunes épaules un poids qu'il ne comprenait pas encore.

Heureusement dans cette noirceur, il y avait Kieran. Son soutien était devenu une ancre essentielle dans le chaos qui s'installait. Willow, d'abord méfiante, s'était peu à peu rapprochée de lui, trouvant dans sa présence une lueur de chaleur et de réconfort, un contraste à la noirceur qui l'entourait. Pourtant, même ce lien naissant n'apaisait pas entièrement l'angoisse qui la rongeait la nuit, ni les cauchemars qui la prenaient en traître.

Ce soir-là, assise devant la grande table en bois de salle à manger, Willow observait avec attention les plumes, perles et fils disposés devant elle. Le crépitement du feu derrière elle dans l'âtre ne parvenait pas à apaiser la tension qui régnait dans l'air. Elle fabriquait un attrape-rêves, un puissant talisman capable de filtrer les cauchemars et apporter protection à son porteur. L'idée lui était venue lors de l'un de ses cauchemars les plus intenses, où une voix murmura dans ses rêves : « Tisse la toile des songes, et les ténèbres resteront à distance. »

Elle devait le faire, pour elle, mais surtout pour Aiden. Chaque nuit, il se tordait dans son sommeil, murmurant des choses effrayantes, des fragments de mots qu'elle ne parvenait pas à saisir. Il parlait d'ombres, de visages sans forme, et de voix inconnues qui l'appelaient. Le matin, il se réveillait les mains ensanglantées, les traces d'ongles formant des cicatrices suintantes sur ses petites mains d'enfant. Willow ne pouvait plus laisser cela continuer. La magie de l'attrape-rêves était ancienne et puissante. Il ne s'agissait pas d'un simple talisman décoratif que l'on accrocherait à la fenêtre pour chasser les mauvais rêves ; celui-ci serait tissé avec ses sorts et les secrets de sa lignée.

Kieran, toujours présent à ses côtés ces derniers temps, entra doucement dans la maison, il avait l'habitude de ne jamais frapper considérant le monde comme un refuge universel, son regard était empreint de la même inquiétude qu'elle ressentait.

« Tu travailles encore sur l'attrape-rêves ? » demanda-t-il en s'approchant. Sa voix était douce, presque rassurante.

Willow hocha la tête sans le regarder, ses doigts habiles entrelaçant les fils autour du cercle en bois. « Je n'ai pas le choix. Aiden est de plus en plus tourmenté, et moi aussi. » elle murmura la dernière partie comme si elle osait à peine l'avouer.

Kieran resta silencieux un instant, l'observant travailler, avant de reprendre : « Et si tu avais besoin de plus que ça ? Si ce cercle des ombres était plus fort que tu ne l'imagines ? »

Willow s'arrêta dans son tissage, ses yeux se plissant légèrement. Kieran avait dit ça d'un air grave, il semblait bien plus pré-occupé qu'à l'ordinaire, lui qui en temps normal relativisait et la rassurait. « Je sais qu'ils sont puissants, mais cet attrape-rêves n'est pas qu'une simple protection. Il sera lié à moi, à Aiden. Tant que nous aurons cela, nos esprits seront protégés. »

Elle ne mentionna pas le pressentiment qu'elle avait, celui que cet attrape-rêves n'était pas seulement une barrière contre les cauchemars, mais aussi un canal, une porte vers quelque chose de plus grand, de plus sombre peut-être. Les rêves ne se contentaient jamais d'apporter la paix. Ils étaient également des miroirs du subconscient, des révélateurs de vérités enfouies.