Chapitre 14

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Cette promenade avec son père avait permis à Anna-Louise de mieux se détendre . C'est ce quelle adorait avec lui, elle pouvait se confier en toute quiétude et pouvait compter sur sa discrétion.

Lorsqu'ils en eurent assez des jardins, ils rentrèrent dîner. Madame Durand était sortie avec Marie-Anne. La maison était assez silencieuse.

Le dîner, comme souvent dans la maison des Durand, avait des airs de festin simple mais raffiné, un hommage aux spécialités du Cap-Haïtien. Sur la table s'étalaient des plats aux parfums d'épices et de terre. Un gratin de bananes jaunes dorées à point, crémeux et parsemé d'un soupçon de cannelle, trônait au centre. À côté, le "tchaka" faisait honneur à la tradition, un ragoût d'ignames, de pois et de lard qui rappelait l'opulence des terres haïtiennes. Pour couronner le tout, une assiette de "lambi" grillé, ce coquillage emblématique des côtes capoises, sublimé par une sauce piquante au citron vert et aux herbes du jardin, enivrait la salle de son parfum iodé.

Anna-Louise savourait chaque bouchée, tout en engageant une conversation légère avec son père, comme elle aimait tant le faire.

- Je me souviens de nos promenades en France, papa, tout ce que nous avons découvert là-bas. Mais, nulle part ailleurs les saveurs ne m'ont paru aussi riches qu'ici, dit-elle en effleurant du bout des doigts une fourchette en argent, les yeux rêveurs.

- Je suis heureux que tu aies retrouvé cette part de toi, cette connexion à la terre, répondit doucement M. Durand, en lui souriant. Et ton écriture, ma fille ? Trouves-tu toujours l'inspiration dans les souvenirs de ces lieux lointains ?

Anna-Louise acquiesça, le regard scintillant.

- Oui, mais... c'est ici que l'essentiel me revient. Le Cap, ses mystères, ses histoires... Chaque recoin inspire une nouvelle phrase, chaque voix porte une mélodie que je m'efforce de retranscrire. Je suis comme une feuille portée par le vent de cette terre, et mes mots suivent la brise.

M. Durand, toujours attentif à son discours, hocha la tête avec tendresse.

- C'est ce que j'espérais pour toi. Que ce voyage en Europe ait étoffé ton esprit, mais qu'au retour, tu retrouves tes racines plus fortes que jamais.

Le silence s'installa un instant, rempli de l'écho des souvenirs partagés. Mais ce moment fut rompu par l'arrivée de Madame Durand et de Marie-Anne, leurs rires flottant comme une brise douce à travers la salle.

- Vous êtes déjà rentrées ? demanda M. Durand avec curiosité, levant un sourcil amusé.

- Oui, il fait plus frais dehors maintenant, dit Madame Durand en souriant, retirant doucement son chapeau orné de dentelle. Marie-Anne voulait saluer les Durosier, mais ils étaient absents. Alors nous avons simplement marché le long des berges. C'était si apaisant.

Marie-Anne prit place à côté de sa sœur, son visage encore illuminé par cette promenade.

- Il y avait une brume légère sur la mer, c'était magnifique, presque irréel. Comme si le monde était enveloppé d'un voile de mystère; ajouta-t-elle en regardant rêveusement par la fenêtre.

- Oh, et nous avons entendu parler d'un autre bal, chez les Laforest, ajouta Madame Durand, sa voix dansant sur le fil de la conversation. Tu y seras, Anna-Louise ?

La question resta en suspens un instant. Anna-Louise sourit discrètement, mais son esprit, tout comme la brume évoquée par Marie-Anne, errait déjà ailleurs, captif de pensées lointaines, peut-être du nom de Milo.

Anna-Louise, toujours songeuse, répondit finalement à la question de sa mère avec un sourire discret;

- Je ne sais pas encore, Maman. Peut-être que je viendrai... si l'invitation arrive.

Le retour des beaux joursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant