Chapitre XVIII - Les Juges

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Le majordome, vêtu de noir, encadra Evelyn en silence alors qu'ils traversaient un long couloir richement décoré, menant à une salle privée. L'air ambiant y était feutré, lourd d'une solennité palpable, une aura de secret entourait chaque porte verrouillée. Ici, seuls les juges et monsieur Dreys avaient accès. L'ombre des rideaux épais filtrait la lumière, plongeant la pièce dans un clair-obscur inquiétant, presque suffocant. À mesure qu'elle s'avançait, Evelyn sentait la tension monter en elle, bien que son visage restât impassible. Aujourd'hui, ils allaient enfin tous la rencontrer. La nouvelle juge.

Simon Dreys, impeccable dans son costume pourpre, fit un geste de la main pour introduire le premier homme, un colosse à l'allure imposante, que le silence rendait encore plus impressionnant.

« Ma chère, voici monsieur Skohlm, le Juge Guerrier. »

Evelyn hocha légèrement la tête en signe de salut, mais avant qu'elle n'ait eu le temps de répondre, Skohlm éclata de rire. Sa voix tonitruante fit vibrer les murs autour d'eux.

« Enchanté ! Cela va faire une sacrée différence d'avoir une jeune parmi nous ! Ah ah ! »

Le rire de Skohlm résonnait dans la salle, mais étrangement, personne ne le rejoignit. Son visage, marqué par des années de bataille, reflétait une jovialité presque brute, comme si la guerre et les horreurs l'avaient immunisé contre la gravité de leur rôle.

« Enchantée, monsieur Skohlm, j'ai entendu de nombreuses louanges à votre sujet. Comment se porte l'armée en ces temps troublés ? » répondit Evelyn, avec une politesse calculée.

Le visage de Skohlm se crispa brièvement avant qu'un nouveau rire n'explose de ses lèvres.

« Si tout se passait bien, nous ne serions pas là, pas vrai ?! »

Evelyn resta stoïque, mais intérieurement, elle se méfiait déjà de cet homme. Un bon vivant, certes, mais aussi imprévisible et peut-être trop confiant en ses propres forces.

Simon enchaîna rapidement, dirigeant Evelyn vers un autre homme, plus discret, vêtu d'un costume sobre, mais d'une élégance froide.

« Voici monsieur Argedon, notre Juge Civil. »

Dès que leurs regards se croisèrent, Argedon s'approcha d'Evelyn, inclinant légèrement la tête en guise de salut, mais avec un éclat perçant dans les yeux. D'un geste rapide, il se pencha pour murmurer quelques mots, cherchant manifestement à éviter que les autres n'entendent.

« Enchanté, Evelyn. Je suis effectivement le Juge Civil, mais vous le saviez déjà, n'est-ce pas ? Vous nous avez observés bien avant aujourd'hui... après tout, vous étiez l'assistante de Brahm. Je connaissais bien cet homme, quel dommage qu'il nous ait quittés si tôt. »

Ses paroles étaient teintées d'une étrange familiarité, un ton presque conspirateur. Evelyn se méfiait. Il en sait plus qu'il ne devrait, mais jusqu'où va sa connaissance ?. Argedon, selon les légendes, était l'un des premiers scientifiques à avoir travaillé pour l'Unité. Un homme au passé trouble, mais terriblement intelligent. Evelyn choisit de ne pas répondre, préférant laisser planer un silence entre eux.

Enfin, Simon présenta le dernier juge, un homme dont la simple présence dérangeait Evelyn plus que les autres. Monsieur Mornn, le Juge du Travail, flottait doucement dans les airs, assis dans un fauteuil volant. Il ne parlait pas, et son regard paraissait ailleurs, perdu dans une contemplation silencieuse et inaccessible.

Comment un tel homme peut-il encore avoir une influence ici ?, se demanda Evelyn en le fixant. Gravement malade, vivant à peine... mais c'est ce silence qui est le plus perturbant. Que cache-t-il derrière cette immobilité ?

Simon rompit à nouveau la tension en prenant la parole. « Si vous voulez bien me suivre, Evelyn. Il est temps que nous parlions en privé. »

Le propriétaire du tribunal guida alors Evelyn dans une autre salle, une pièce presque vide où régnait un calme oppressant. Les murs semblaient absorber les sons, et la lumière se faisait rare, ne laissant qu'une atmosphère de mystère et de secret. Une fois à l'intérieur, Dreys se tourna vers elle, un sourire carnassier sur les lèvres.

« Maintenant que vous avez rencontré vos collègues, dites-moi, quel est votre ressenti ? » demanda-t-il en s'adossant négligemment contre un meuble ancien.

Evelyn répondit d'une voix calme mais ferme : « À vrai dire, je les avais déjà tous vus, lorsque je venais avec Brahm. Ce sont eux qui ne se souviennent pas de moi. Mais dorénavant, je suis prête à travailler avec eux. C'est mon devoir. »

Simon hocha la tête, mais son regard trahissait une autre intention. « Merci pour votre honnêteté. Mais pour être tout à fait franc, ce qui m'intéresse réellement, c'était de pouvoir vous voir seule. Et dans cette magnifique robe, qui vous va à ravir. »

Evelyn sentit une vague de dégoût monter en elle. Cet homme dépasse les bornes. Ne comprend-il pas que sa position ne lui donne pas le droit de parler ainsi ?

« Concentrez-vous sur votre travail, Dreys. Ne refaites plus jamais de telles réflexions. Vous ne valez pas mieux que vos majordomes... Je suis déçue. » Evelyn prononça ces mots avec une froideur calculée, espérant le déstabiliser.

Mais Dreys ne sembla pas affecté. Au contraire, son sourire s'élargit.

« Si vous le dites, ma chère. Mais ici, vous êtes dans mon tribunal, dans mon jeu. Ne vous croyez pas supérieure simplement parce que vous êtes passée d'assistante à juge en une nuit. » Il plongea sa main dans sa poche et en sortit une pièce en or. « Tenez, prenez ceci. »

Evelyn hésita avant de prendre la pièce. D'un côté, le visage de Simon y était gravé avec une minutie troublante. De l'autre... rien. Un vide béant à travers lequel on pouvait littéralement voir. Evelyn fronça les sourcils, perplexe. Que signifie cette pièce ?

« Rencontrez-moi après le procès, » murmura Dreys, ses yeux pétillant d'une lueur dangereuse. « Cette pièce est la clé pour entrer dans ma chambre privée. »

Le silence retomba lourdement entre eux. Evelyn fixa la pièce un instant de plus avant de la glisser dans sa poche, préférant ne pas répondre pour le moment. Puis-je réellement faire confiance à cet homme ? Pourquoi Brahm ne m'a-t-il jamais parlé de lui ?

Simon brisa à nouveau le silence. « Maintenant que vous faites partie intégrante de l'Unité, vous devez choisir un nom de famille. Votre simple nom artificiel ne suffit plus. Alors, qu'allez-vous choisir ? »

Evelyn redressa la tête, son regard s'illuminant d'une détermination nouvelle.

« Mon nom ? Je n'ai jamais hésité, ne serait-ce qu'une seconde. À partir de maintenant, je serai Evelyn Brahm. »

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