Mon souvenir perdu (Mein verlorenes Gedächtnis)

Chapitre 20

Le lendemain, casque sur la tête et tablette à la main, je fais le tour des groupes d'ouvriers afin de vérifier que tout est OK. Parfois, quand c'est nécessaire, je détaille les plans de construction aux travailleurs suite à leur demande.
Une légère brise arrive à passer en dessous de mon pull, ce qui me fait frissonner. Pourtant, le ciel est dégagé et on est en été. Les plantes regagnent un peu de leur verdure, quelques fleurs en profitent même pour développer leurs bourgeons afin qu'ils éclosent en ce beau temps.
Alors que je m'autorisais un moment pour me perdre dans la beauté de la nature, on m'appelle.
"Hé, Joon ! Tu as fini de ton côté ?"
  Je me retiens de ricaner. Je n'ai pas du tout l'habitude de le voir avec un casque de chantier sur la tête. Ça le ridiculise un peu.
  À vrai dire, ça m'arrange bien. Le casque protège son crâne mais me protège aussi de son habituel froncement de sourcils et de son air dédain.
Je m'approche de lui et hoche de la tête comme réponse. Il enlève son casque et se dirige vers la sortie.
  "Tant mieux, parce que moi aussi. On peut avoir notre pause maintenant. À moins que tu as quelque chose à faire ? me demande t-il par dessus son épaule.
  - Oh, je vais juste envoyer un message et c'est tout.", dis-je après un moment de réflexion.
  Je sors mon téléphone et compose le numéro qu'il y a sur la carte. J'envoie un court message :

Moi → à n°xxx.xxx.xxx

  Bonjour Eva, c'est Joon-ho.
Voici mon numéro de téléphone, contactez moi quand vous le souhaitez ! Passez une bonne journée, mademoiselle !

  Je relis mon message avant d'appuyer sur le bouton "envoyer". J'éteins ensuite mon téléphone et le range dans ma poche avec la carte avant de rejoindre Bastian qui m'attendait.
  "Où est-ce qu'on va ? questionné-je alors que je me tiens juste devant lui, mon casque encore sur la tête.
  - Tu as écris à qui ?"
  Depuis quand on répond à une question avec une autre ? Et encore, ça ne me dit rien sur notre prochaine destination donc il est en hors sujet complet.

  "Eva Gallo. Secrétaire d'un architecte. Travaille dans l'agence Be&Build. il lit la carte qu'il a fini par avoir, certainement pas avec la manière douce. Son célèbre froncement de sourcils devient encore plus marqué. Depuis quand tu la connais ? Et pourquoi ?
  - À peine hier. Par hasard. Et pourquoi autant de questions ? J'ai fait quelque chose de mal ?"
  Et il me tourne les talons, me laissant en plan et sans réponse alors qu'il va vers sa voiture.
"Hé ! Je vous parle !" je l'interpelle en marchant en trombe vers son véhicule.
Dès que je l'atteins, je commence à l'affronter. Il m'agace avec son arrogance et son orgueil. Ma patience a des limites et il les a dépassées.
"Pouvez-vous arrêter de vous comporter ainsi ? Je me tue à me soumettre à votre autorité pendant que vous ne faites même pas d'efforts pour être moins désagréable !"
Alors que j'allais continuer à déverser ma frustration sur lui, il met sa main sur ma bouche. Sa prise est ferme, m'empêchant de parler et même d'ouvrir ma bouche.
  Je le regarde avec de grands yeux, surpris par ce retournement de situation soudain.
  "Tu vas te calmer, oui ? Verdammtes Gör."
( 'Verdammtes Gör' = "putain de gosse" )
  Wow, je l'ai vraiment irrité pour qu'il réagisse ainsi ? Sa voix est tellement menaçante et tendue. Sa mâchoire est serrée. L'atmosphère est devenue écrasante - étouffante.
  Je ne vais pas vous mentir que maintenant j'ai perdu toute détermination. Je me chie presque dessus même.
Que quelqu'un intervienne, n'importe qui, pour que je sors de cette situation sans séquelles. Un passant, un ouvrier, même un rat fera l'affaire !
  Son emprise sur ma mâchoire me fait légèrement mal, ce qui me fait grimacer. Je ne savais pas qu'un gars comme lui faisait de la muscu - du moins, qui a de la force. Lui qui fout rien à longueur de journée derrière son bureau.
Cependant, même si je me sens comme en danger et vulnérable dans cette situation, la fraîcheur de sa peau pâle s'infiltre dans la mienne. Il est frais alors qu'on est en été. Je peux sentir son odeur à cause de sa main qui est juste en dessous de mes narines. Et je dirais même "grâce à sa main".
C'est un parfum fort qui me transperce le nez et pourtant il est tout aussi agréable à sentir.

[ Point de vue différent ]

     J'agrippe sa bouche afin qu'il puisse se taire. Que c'est déjà agaçant quand on me parle alors imaginez quand on lève le ton sur moi ?
"Tu as fini ton cinéma ? Tu te prends pour qui déjà ? Un ado qui passe la puberté ? Je te rappelle que tu n'es qu'un petit nouveau dans l'entreprise et que je suis ton supérieur. Tu veux déjà te faire renvoyer alors que ça ne fait même pas un mois depuis ton arrivée ?"
Ma voix est tendue, même trop. Je me ferai un plaisir de le faire déguerpir. Les petits avec de grandes ambitions courent partout dans les rues maintenant.
Et pourtant, mon corps tressaille à la sensation de ses lèvres contre ma paume de main. Elles sont douces, humides et... tremblantes.
  Je peux aussi sentir son faible souffle chaud sur ma peau, comme s'il avait peur de respirer.
Je lâche ma prise sur le plus jeune avant d'ouvrir ma voiture et de m'installer sur le siège conducteur. Comme si rien ne c'était passé, je me penche pour ouvrir la portière du côté passager par dessus la console centrale du véhicule et lui demande :
"Tu veux marcher jusqu'à l'agence peut-être ?"
Il n'avait pas bougé, sûrement encore sous le choc. Mais, quand il entend ma voix plus calme qu'avant, ses épaules s'affaissent légèrement.
  Joon-ho me rejoint aussitôt mais je sens qu'il y a un truc qui cloche.
Je l'ai fait peur ? C'était pas voulu. Je voulais juste le faire taire, du moins, je l'ai pensé.
Mais ma main a agit d'elle-même.
J'arrive encore à sentir la douceur de ses lèvres sur ma main. Cette sensation persiste et je ne comprends même pas pourquoi mon corps réagi à ça.
  Ça me fait chier ! Pourquoi je ne fais que des conneries ? Déjà hier, j'ai été brusque avec lui sur quelque chose qui est fragile et aujourd'hui c'est comme si je l'avais agressé. Mon tempérament a encore pris le dessus.
  Je me fais passer pour qui maintenant ?