MERVEILLE

Il était une fois... - IV

Des jours sombres s'écoulèrent au château. Le temps se fit plus nuageux et la voix de Hazel s'élevait moins dans la cour et dans les corridors du fort. Elle passait le plus clair de son temps avec Bayard, à l'écurie, et n'osait plus adresser ne serait-ce qu'un regard au capitaine. Cole lui répéta pourtant des dizaines de fois qu'elle n'avait aucune raison de s'en vouloir, la jeune fille ne parvenait pas à accepter le destin cruel qui avait frappé le capitaine. Privé de sa main droite, il lui était désormais impossible de manier Rugissement avec la même force qu'autrefois. La légende de Cole s'éteignit pour de bon le soir fatidique où il perdit un de ses deux bras.

Jack passa la moitié de ses journées avec Hazel. Même s'ils n'échangeaient que peu de mots, le garçon restait autant que possible auprès de sa camarade. Plus mature et pragmatique, Jack ne se sentit pas un instant responsable de ce qui s'était passé, car il savait bien que leur présence ou non ce soir-là n'aurait pas changé grand-chose. L'esprit avait retrouvé la trace de Bayard, qu'ils soient dans le bois ou non n'y aurait rien fait. Cette forêt était immense, pas étonnant que le Dulahann ait pris plusieurs mois pour rattraper un cheval aussi fort et rapide que Bayard.

Cole organisa des battues dans toute la forêt. Puisqu'un fantôme leur avait échappé tout ce temps, il se dit que des survivants aux attaques du monstre se trouvaient peut-être encore dans le bois. À moins d'y avoir grandi, difficile de se diriger dans ce dédale de chênes et de hêtres plus vieux que tous les autres êtres de la région.

Cinq jours après la bataille contre le Dulahann, les portes du château s'ouvrirent et les gardes revinrent accompagnés d'un invité singulier. Il s'aidait d'une canne pour marcher, mais d'une canne si belle et si sculptée qu'on l'aurait cru sortie d'une galerie d'art. Les yeux les plus fins remarquèrent que cet objet luxueux cachait en son sein une lame, car une césure circulaire était à peine visible sous la poignée. Le bonhomme portait un grand chapeau jaune surmonté d'une plume et se capait dans des étoffes couleur paille, et ces dernières avaient bien souffert de son séjour dans le bois. Aussi, sous ses tissus, tous distinguèrent de belles bottes rouges à revers. À chaque pas, le bruit net et clinquant des talons produisait un rythme mélodieux.

Néanmoins, ce fut une tout autre caractéristique qui attira l'œil des recrues comme des gardes et qui manqua de transformer cet invité de marque en un phénomène de foire. Même Jack fut fort étonné et tira Hazel hors de l'écurie pour qu'elle ne manque pas cet événement : ce n'était pas un homme, mais un chat qui entrait à Castel-Cariad. Un vieux matou au poil gris et touffu et aux longues moustache, voûté sur sa canne à la manière des anciens rois qui s'appuient sur le pommeau de leurs épées. Il avait deux yeux verts, fins et perçants, qui ne manquèrent pas de jeter des regards mauvais aux jeunes gens mal-élevés qui le dévisageaient. Il sortit même les griffes à certains d'entre eux avant que le capitaine ne quitte ses quartiers pour venir saluer le chat. À la surprise générale, il posa un genoux à terre. Immédiatement, bien que confus, gardes et recrues suivirent son exemple. Hazel resta debout.

— C'est un grand honneur que de vous accueillir ici, ô Marquis de Carabas, déclara Cole en gardant la tête baissée. Je suis heureux de vous voir en vie.

— Ne te fatigue pas avec les formalités, p'tit Cole ! s'offusqua le chat. Je t'ai connu alors que tu rampais encore à quatre pattes, pas besoin de me saluer de la sorte.

Le capitaine se releva et le matou tendit sa patte pour lui serrer la main, ce qu'il accepta. Hazel ne le quitta pas des yeux un seul instant. Le seul survivant de la diligence ? Un matou qui parle ? La bonne blague ! Hazel connaissait l'existence des animaux parlants, bien qu'ils soient bien plus rares qu'à une lointaine époque. Humains changés en bêtes, boules de poil ensorcelées par un sorcier distrait ou tout simplement exceptions de Mère Nature... la liste des créatures dotées de la parole était longue.