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« Nous avons marché 2 700 kilomètres. Nous nous sommes éloignés si loin du camp, que nos pieds sont en sang, que nos chaussures sont détruites. Si loin que nous ne parlons plus.

Chaque jour, nous voyons le monde comme nous ne l'avons jamais vu. Une planète hostile, différente, qui n'a plus rien de bleu ni de vert.

Nous faisons des détours, évitons les zones arides et dangereuses pour arriver à destination. Il reste encore 900 kilomètres à parcourir.

Ce chiffre m'effraie.

Nos réserves d'eau sont presque épuisées, notre nourriture aussi. L'air que nous respirons est toxique même à travers les masques.

Nous serons bientôt à court d'oxygène.

Nous marchons pour fuir la mort.

Même si la mort est déjà en nous. »

Mémoires, Zephyr E.S, décembre 2125.

Jungkook

Ton ongle gratte le rebord de la fenêtre, effrite la peinture, le bruit te distrait, t'occupe un instant.

De l'autre côté, au rez-de-chaussée, les beytis s'agitent alors que le convoi entre par le grand portail. Le fourgon recule lentement et chaque centimètre te fait gratter le rebord de la fenêtre plus profondément.

La livraison de l'aryma est arrivée. Tu ne quittes pas ta tour d'observation, incapable d'en détacher ton regard.

Lo zoipa quitte son siège conducteur, fait le tour du véhicule pour ouvrir la porte. Tu te mords la langue, le ventre noué. L'aryma pose pied à terre et tourne la tête vers le ciel.

Une moue de dégoût se peint sur ton visage, d'incompréhension aussi. Son attitude te débecte.

Quelle immonde créature.

Tu sursautes intérieurement à cette pensée et tu culpabilises tout autant.

— Loué soit Zephyr.

Tu dois te rattraper. Tu n'as pas le droit de penser ainsi. Zephyr a créé les particules, loué soit son travail.

Tu te répètes les préceptes du Livre à haute voix pour tenter de te rattraper et éloigner l'aberration de tes pensées.

Pourtant, en regardant encore la scène, un sentiment viscéral te traverse. Iel te débecte. Les arymas ont des corps disproportionnés, l'absence de cheveux rend leurs yeux plus enfoncés et plus globuleux.

Pourquoi cet.te aryma regarde-t-iel le ciel ?

Tu lèves le nez. Il n'y a rien de nouveau à apercevoir. Le dôme qui protège la cité a la même couleur lilas, entre le bleu et le mauve, que les autres jours. Tu t'arraches à cette vision et fronces les sourcils sous la confusion de tes ressentis.

Tu as peur, mais tu ne le devrais pas.

Tes pas te mènent à la pièce principale, un salon éclairé par la lumière qui traverse les hautes fenêtres qui teintent le sol et les murs des reflets du soleil. Tu aimes l'odeur ambiante qui y règne, la boiserie, les coussins, l'encens qui brûle lentement. Tu aimes le froissement des tissus sur le parquet, les tasses de porcelaine qui frottent les soucoupes. Pour toi, c'est dans ces quelques détails que se situe la vraie richesse, le sentiment d'un foyer. L'enchevêtrement de décorations est ostentatoire.

Les ParticulesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant