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« J'ai mis un temps fou à reprendre l'écriture de carnet. Nous avons atteint le labo.

Il est intact. La nature avait repris ses droits dessus, mais j'ai l'impression d'avoir reçu un message divin quand, après des heures, la porte est apparue. Le bunker n'a quasiment subi aucun dommage. Le groupe électrogène fonctionne encore, il reste aussi des denrées non périssables dans la salle de repos.

Le temps s'est figé. Cet endroit appartient à un autre monde, un ancien pays que j'ai connu mais que je ne reconnais pas.

Le sens des objets nous manquait, il y a tant de choses dont nous nous sommes passées ces dernières années, que cet endroit est comme une capsule extraterrestre.

Avec mes camarades Yshna et Caroline, nous sommes restés à trois dans une pièce, recroquevillés, soulagés d'être arrivés et sidérés qu'un tel éclat du passé existe encore et nous rappelle un monde qui a cessé d'exister.

Aujourd'hui, j'ai essayé de rallumer un ordinateur, de faire l'inventaire des composants dont nous disposons et me remettre à mes fonctions de scientifiques. C'est difficile.

Je ne sais plus ce que je suis venu faire ici.

L'ampleur de mon idée me paraît soudain dérisoire. »

Mémoires, Zephyr E.S, février 2126.

Namjoon

Tu as une fenêtre.

Plutôt un carreau, pas plus large que ta tête, trop petit pour donner de la lumière à la pièce, mais suffisant pour que tu ne passes pas à travers si l'envie de te jeter du dernier étage te venait.

C'est ainsi que lo beytis qui a apporté le repas aujourd'hui te l'a dit.

Les beytis de cette maison parlent mal, iels baragouinent leurs mots comme s'iels n'avaient jamais appris à correctement les prononcer. Iels sont rustres, bourré·x·s de méfiance. Tu ne sais pas ce qui est pire, leur agressivité à peine voilée ou la froideur calculatrice des ynéos qui t'observent derrière le miroir sans tain.

Même si l'angoisse des ténèbres est partie, ça ne change pas la véritable peur qui pulse sous ta peau à chaque instant. Il n'y a rien à faire dans cette pièce du matin au soir, à part regarder ce morceau de ciel et t'allonger sur le lit.

Tu ignores depuis combien de temps tu es ici. Le confort est supérieur à tout ce que tu as jamais connu mais la chambre reste austère. On t'a enfermé, toi avec tes pensées. Tu donnerais n'importe quoi pour avoir de la lecture mais personne ne t'autorisera jamais à lire. Les arymas ne lisent pas. On ne leur apprend pas.

Les autres castes ne doivent pas le savoir, ça leur ferait peur que tu puisses avoir de l'intelligence. Que tu ne sois pas qu'une bête à nourrir, à contrôler, à faire travailler puis à doper pour procréer.

Tu as déjà vécu ce moment, tu as failli sombrer dans la folie par deux fois. Les autres moissons se passent ainsi. L'enfermement, l'attente puis l'acte. L'esprit lutte contre lui-même, cogite, se fatigue et dans le vide, le silence et l'attente, la folie arrive comme une amie.

Comme une seule solution.

Se parler à voix haute pour donner l'illusion de parler à quelqu'un.

Inventer ce qui n'existe pas.

Ta première moisson est un souvenir flou et moite. Tu ne savais pas, car personne ne vous prépare à ça. La seconde a été une torture. Celle-ci sera différente parce que cette lutte contre l'aliénation est plus facile à présent que tu as tes rêves et tes espoirs.

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⏰ Dernière mise à jour : 2 days ago ⏰

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