Chapitre IV

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Malik


16h08

Ça fait une heure qu'on travaille sur ce devoir d'anglais, un silence de mort règne dans la médiathèque. Je crois que je vais devenir fou si personne se décide à parler dans les trente prochaines minutes. Les seuls bruits ambiants sont le claquement des touches de clavier d'Avy et les étouffements de la vieille documentaliste répétés toutes les dix minutes. Je passe mon regard sur mon ordinateur, ou se trouvent les recherches pour notre exposé, puis sur les immenses étagères remplies de livres. L'endroit est vieux, la moquette et le papier peint sont d'un démodé affligeant. Je soupire d'ennui et me concentre de nouveau sur mes notes.

Nous devons faire un exposé sur une personnalité littéraire du XIXe siècle montrant les dérives de la société. Nous avons donc choisi Oscar Wilde, fin... Elle a choisi Oscar Wilde parce que la littérature n'a jamais été mon fort, tout comme l'algèbre et l'histoire.

En fait, j'ai l'impression d'être ignorant dans tous les sujets qu'on apprend en cours. Ce n'est pas qu'aucun ne m'intéresse, c'est juste que je n'arrive jamais à apprendre, alors quand je n'arrive pas à faire quelque chose, je me lasse vite. Mes études depuis le collège se basent en permanence sur du "un peu près" et jusqu'à aujourd'hui, ça a toujours fonctionné.

– Malik, tu m'écoutes ? M'interpella la voix douce de la brune.

– Hmm, non, avoué-je, désolé.

Elle lâcha un petit rire et ferma son ordinateur, puis leva les bras devant elle pour s'étirer.

– C'est pour le moins honnête...

– ...je viens de recevoir un message de ma mère, il faut que j'y aille, continue la brune, je te laisse mon numéro, si tu veux me contacter pour continuer le travail.

Elle arrache un petit bout de papier de son cahier et gribouille son numéro à la va vite, puis range sa trousse remplie de dessins et son cahier.

Sans bouger, je la regarde ranger ses affaires. Je détaille le petit bout de papier, je ne sais pas vraiment pourquoi je m'embête à faire ce travail avec elle. Il y a une semaine, je m'étais convaincue de ne pas le faire, mais faut croire qu'elle m'a fait changer d'avis. Je ne sais pas comment elle y est arrivée, tout ce que je sais, c'est que les heures à travailler sur cette merde d'exposée vont être chiant à mourir.


16h40


Je m'étais décidé à aller fouiller dans les archives du poste de police de Silverton, Walker m'avait envoyé un message hier m'annonçant qu'il avait retrouvé la clef des archives, celle-ci était perdue depuis maintenant trois mois, et impossible de remettre la main dessus.

Cette pièce était sombre et minuscule, pourtant de géants tiroirs gris recouvraient les murs. Un des deux néons jaunâtres clignotait sous le bruit énervant d'un petit grésillement, signe qu'il était temps de le changer, mais la pièce était si peu fréquentée, que je doutais qu'un nouveau apparaisse dans les prochains jours. L'endroit regorgeait d'affaires non résolues, je devais absolument parcourir ses dossiers, juste pour voir si des affaires similaires à la disparition de mon petit frère s'y trouvaient.

Walker ne m'a jamais laissé entrer dans cette pièce, il m'a toujours dit que j'étais trop jeune pour lire ce qu'il y avait là dedans, des frissons d'excitation s'étaient propagé en moi quand il m'avait annoncé que je pouvais enfin y aller.

Ici, c'était peut-être ma seule chance de trouver des indices conventionnels. J'avais déjà scruté tous les recoins de cette ville, et j'avais déjà fait des tonnes de recherches dans les archives d'internet ou médiatiques avec l'espoir de retrouver mon frère ou quelques indices qui me montreraient qu'il est toujours vivant.

Ce serait mentir de dire que plus le temps passe, plus j'ai de l'espoir. J'ai arpenté pendant des heures et des heures les forêts alentour, regardé des dizaines de fois les journaux de la médiathèque, même les plus anciens, et questionné les anciens habitants de ce fichu bled.

En vain.

C'est ce qui m'aide à tenir, c'est ma raison de vivre, sans ça quel est mon but ? Si je ne suis pas capable de retrouver mon frère et de rendre ma famille heureuse, à quoi je sers ? Pourtant, je sais qu'il y a de fortes chances que mon frère soit six pieds sous terre, mais personne ne le sait concrètement, alors je garde espoir. L'humain vit pour l'espoir, sans perspective future, que sommes-nous ? Qui suis-je ?

En tirant le tiroir en ferraille, de nombreux rabats en papier jauni sont serrés entre eux, la poussière m'atterris dessus, je tousse, mes mains secouent mes fringues et je prends une pile de dossier et m'assois sur le sol froid en ciment.

Après de longues minutes, la porte s'ouvre et laisse la lumière plus forte passée dans la sombre pièce. L'imposante carrure du shérif Walker me fait lever la tête.

– Tu trouves ce que tu veux ? Questionna le moustachu.

– Ouais, c'est pas concluant.

– Viens, mon grand, tu dois te péter le dos à rester comme ça, t'en est où ?

Je me lève et désigne le deuxième tiroir de la troisième colonne.

A son tour, il l'ouvre et prend une poignée de dossier, je le suit et nous nous installons sur le bureau, la pile de dossier claque sur le bois, je prends la chaise dans le coin de la pièce et m'assois, je remercie silencieusement Logan.

Et sans un mot, il décortique un par un les dossiers avec moi, il sait ce que je cherche. Logan m'a toujours aidé et je lui en serais éternellement reconnaissant.

La fin d'après-midi s'achève, nous avons cherché dans tous les dossiers du premier mur, et pour le moment, rien de très convaincant. Seulement cinq dossiers portent sur la disparition d'enfants à partir des années cinquante. Jusqu'à maintenant, deux affaires sont résolues.

– Tes parents vont s'inquiéter, tu devrais rentrer, répliqua Logan qui venait de recevoir un appel. Je dois partir, prends soin de toi, mon grand.

Il m'ébouriffe les cheveux et enfile sa grosse veste kaki à la va vite, je range les derniers dossiers, salue madame Gibson et file à mon tour. La nuit est tombée et il a plu, l'épicier est toujours ouvert, je rentre dans le magasin et prends une limonade bon marché et deux pizzas.

18h30

Quand j'ouvre la porte d'entrée de chez moi, je vois mes parents assis sur le canapé, la tête de ma mère est sur les jambes de mon père, regardant tous les deux un film passant sur une chaîne de télé.

Mon père tourna la tête et posa son regard sur moi, des cernes entouraient ses yeux marron, ses cheveux étaient en bataille et sa barbe avait poussé de quelques jours.

– Tu ne travailles pas ce soir ?

– Non, pas ce soir, affirmais-je, j'ai apporté des pizzas.

Les lèvres retroussées, d'un signe de tête, il me remercie. J'allume le four, sort trois verres et verse la boisson gazeuse dedans. Je tends les deux verres à mes parents et ils se décalent pour me laisser une place entre eux, ma mère pose le haut de son crâne sur mon épaule et mon père entoure son bras autour de mes épaules, je me sens petit entre ses bras, j'ai l'impression d'être de nouveau un enfant.

Les moments avec mes parents sont tellement rares, alors pour une fois j'en profite. On ne parle pas, on se contente de regarder le film en silence, mais je me sens bien. La plupart du temps, je travaille au restaurant le soir, mais il m'arrive de faire le matin, alors quand je rentre, je me douche et me couche directement. Mon père m'a de nombreuses fois demandé de travailler moins, mais je ne peux pas.

L'argent que je gagne, je leur donne, malgré leurs nombreux refus. Je trouve toujours un moyen de leur donner une partie de ce que je gagne. Mon père travaille en tant que vendeur dans une grande surface et ce n'est clairement pas suffisant pour subvenir à nos besoins, alors dès que j'ai pu travailler je l'ai fait.

En plus de ça, les médicaments de ma mère ne sont pas gratuits. Et elle en a besoin. Sans ses anxiolytiques, ma mère peut tomber très bas, elle ne passe pas un jour sans y toucher, alors je continue de travailler.

Pas par envie, personne ne travaille pour le plaisir. Seulement pour survivre.


MYSTERIOUS STRANGEROù les histoires vivent. Découvrez maintenant