Ça nous tenait hacker

Bienvenue dans la servitude connectée !

Dans la tête d'In@y@

Je fixais mon café avec mes doigts agrippés au gobelet en carton comme s'il contenait autre chose que de la flotte tiède. En vrai c'était un vieux sachet de thé noir dégueulasse que j'avais déjà infusé quatre ou cinq fois.

La faute à ces branleurs qui sortaient jamais. C'était moi qui faisait tout le temps les courses ici, enfin quand le gros Scott nous faisait un bon trade de crypto pour sortir un peu de tune.

En même temps quand tu laissais un mec faire du shopping, à part les bières et les pizzas surgelées y avait pas grand chose dans le caddie, genre même le besoin de PQ ça tiltait pas dans leurs crânes quoi. Je me tournais vers eux pour leur faire ma morale claquée au sol :

— Avec nos gueules de vampire de geeks enfermés, on pourrait être les prochains candidats pour une pub de complément en vitamine D. Sérieux les mecs, avec vous le soleil c'est devenu une légende urbaine.

Le gros Scott tout en chipant les lunettes de soleil de Jester me lâcha avec ses joues rouges :

— Bah ma meufette, qui, qui a besoin de soleil quand t'es dans la pièce ? Tu nous fais bronzer direct, c'est, c'est pour ça qu'on est tous blancs ! C'est à cause qu'on se met de la crème sur la gueule !"

Il se leva pour faire le clown comme d'hab :

— J'ai, j'ai tellement l'impression d'être à la plage quand t'es là, que regarde, j'en ai du sable jusque dans la rayotte !

En m'approchant de la fenêtre, je lui répondais sans même le regarder :

— Je vois ça, du sable aussi fin que ton humour de barré.

En regardant par la vitre, je matais sur l'immeuble du building d'en face un panneau publicitaire qui passait un slogan de propagande de ce gouvernement de merde : "Identité Num'Unique, Liberté et Sécurité pour tous."

Ça me donnait envie de gerber.

Scott et Jester étaient affalés sur le canap, un gros tas de câbles entre eux avec deux écrans pétés posés sur les accoudoirs, comme s'ils allaient tomber par terre pour la centième fois.

La rue en bas ressemblait à un espace carcéral, des caméras plantées à chaque cellule commerciale et à chaque coin de rue. Ici à Johnson City, ça devenait comme l'Europe après leur effondrement économique... Gosh, si on m'avait dit que ça ressemblerait à ça un jour.

Mat en m'observant du coin de l'oeil avait calé mon dégoût :

— Ina, tu veux un bon slogan pour leur "Identité Unique" ? "Confiez-nous vos âmes, on vous upload une version compatible." Il éclata de rire tout seul, un rire glauque qui rebondissait contre les murs délabrés de son appart à moitié vide.

Je lui jetai un coup d'œil, à moitié amusée, à moitié désespérée. Mat c'était le plus badass d'entre nous en code, mais le gars te sortait toujours ses pires vannes au pire moment, genre quand t'as trop le seum, bah lui il te one shot.

J'essayais de leur faire prendre conscience de ce truc de ouf qui allait bientôt nous tomber dessus :

— Sérieux, vous vous rendez compte ? Dans six mois, cette merde d'identité numérique débarque chez nous, aux States, et ils nous lavent déjà le cerveau ! Et ce sera QR code pour aller partout les mecs ! Sauf si vous voulez vivre dans une cave ? En vrai, ça changerait pas beaucoup d'ici pour vous.

Jester me répondait en partant d'une voix grave pour monter ultra haut dans les aigus.

— Une cave ?

— Bah ouais, ou un parking, un bunker, tous les trucs en sous-sol quoi !

Là, il faisait complètement l'inverse avec son intonation. Il entama sa phrase dans les aigus pour plonger sa tonalité dans les graves, genre, il voyageait sous terre rien qu'avec sa voix.

— Un sous-sol ?

D'un geste ultra vif, il me jeta un regard par-dessus ses lunettes de soleil qu'il venait à peine de récupérer.

— Si je dois fuir ma chérie, ce sera au bord de l'océan avec ta bonne bouille et sans ce gros... voleur de Scott. Ok c'est vrai, on traîne trop sur nos PC, mais j'ai pas signé pour des bunkers ou des caves moi.

Jester, c'était notre magicien du réseau, le gars capable de remonter une adresse IP en deux clics et de t'envoyer des adresses offshore pendant une conversation en plein milieu de sa game. Toujours en train de sourire, comme si tout ça, tout ce bordel, c'était un immense jeu.

Mat, tout en tapotant sur son clavier, releva le level de la conversation. Enfin j'entendais un truc qui me faisait plaise !

— Va falloir qu'on trouve un moyen de leur mettre des bâtons dans les roues avant l'élection. Ça va pas être simple, mais si on se débrouille bien, on pourrait hacker l'infrastructure des fonctionnaires qui gèrent les démarches en physique pour les vieux. C'est là qu'ils sont vulnérables.

Mat, en plus d'être le meilleur, c'était notre stratège. Le mec était toujours calme, posé, et il gardait toujours la tête froide quand nous on flippait. Si quelqu'un pouvait voir une faille pour planter leur projet d'identité numérique, c'était bien lui.

Je posais doucement mon pseudo café tout en les regardant un à un. Jester, Mat, Scott. Ma team, mes amis, ma famille. Il manquait juste Jenna mais pas sûre qu'on la revoie un jour.

Avec ces mecs, on était peut-être juste une bande de hackers paumés dans un appart minable, mais le peu qu'on avait, on laisserait sûrement pas ce gouvernement de psychos nous le prendre.