Jour 2 - Découvrir

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Il faisait chaud, pas spécialement chaud pour une journée d'août, mais quand même plutôt chaud. D'habitude, Chloé aimait beaucoup cette saison-là: le sable brûlant des criques, le bleu gigantesque du ciel, et cet éveil particulier des sens, ce mélange de sueur et de sel qui révèle d'autres corps, d'autres faisceaux d'émotions. "J'aime trop", elle avait dit un jour à Liam. "C'est comme, réapprendre le printemps sur la peau. Enfin, l'été. C'est un peu pareil", et elle avait rit en disant ça, son rire qui fait s'écrouler les montagnes et creuser les vallées. Liam n'avait rien dit. Il l'avait regardée, amusé, en se demandant comment il avait fait pour se retrouver là, aux côtés de la fille la plus étrange et la plus belle du monde, quel alignement exceptionnel des planètes avait rendu possible que ce soit à lui que s'adressent ses petits coups d'œil espiègles, que ce soit le croisement de leurs regards qui provoque le retroussement furtif de sa lèvre supérieure, et leurs joues brillaient d'une même teinte rougie qu'ils s'amusèrent un temps à attribuer au soleil...

Aujourd'hui, les rayons pourtant ardents ne semblaient pas parvenir à pénétrer l'épiderme de Chloé, qui était parcourue de frissons irréguliers et désagréables, dans lesquels Liam ne retrouvait ni la naïveté adorable d'un premier rhume hivernal, ni le déséquilibre touchant qui précède un bain de mer. C'était juste des frissons. "Y a des courants d'air", elle dit, comme pour s'excuser. "Viens, on va s'asseoir". Liam ne répondit rien, la suivit. Un silence passa, le dernier d'une longue liste qui n'avait fait que grandir depuis le premier, atroce, la nuit où Chloé avait pleuré des heures et où Liam lui avait tenu la main sans la regarder, en l'écoutant gémir et bafouiller, et puis d'un coup plus rien, elle s'était calmée, ne faisait plus de bruit, les murs s'étaient écroulés sur eux pour les figer à tout jamais dans le froid et le noir.

Il cherchait quelque chose à dire, ne trouvait pas, essayait de la regarder, la ratait. Leurs yeux n'arrivaient plus à se parler non plus. Leurs regards butaient, se perdaient en chemin, et chaque fois les fatiguait un peu plus de cette danse dont ils ne retrouvaient plus les pas. C'était triste, un peu. Ils savaient, ils en avaient discuté, mais quand même.

"J'espère que t'auras moins froid là où tu vas", il dit.

" Ben oui, j'espère", elle répondit.

Des bouts de soirées enlacés dans le canapé bleu à imaginer leur maison, dans un village perdu du nord de l'Italie, au bord de la mer, dans une forêt, une tâche de chocolat sur un sweat, un petit chien sans oreille droite, le chemin du retour sous les arbres, leur premier baiser, leur troisième, les centaines qui suivirent, une course à vélo, une chute à vélo, elle qui lui parle de sa famille dans le Piémont, lui qui veut vivre avec elle pour toujours, une robe à fleurs, les après-midi d'automne sur Mariokart, une moue un peu obscure, trois jours sans se parler, la nuit où ils ont joui en même temps, une salle d'attente, des bracelets en plastiques...

"Tu t'occuperas de mon île, hein?", elle essaya.

"Heu... Oui, bien sûr", il répondit.

" Non, vraiment, l'abandonne pas", elle dit, "j'ai passé trop de temps à planter des navets pour que ça serve à rien."

Elle se tourna vers lui, il la regarda, elle avait un sourire qui lui déchirait le visage. Le cœur de Liam implosa et ses morceaux furent éparpillés aux quatre coins de la couette en coton qui leur avait servi de nid, chacun oiseau blessé recueilli par l'autre, du sang partout sur les draps entrecoupés de caresses.


"Tu peux pas comprendre", Chloé lui avait dit, la fois où sa mère les avait ramenés en voiture, à demi-mot sur la banquette arrière. Sur le coup, il n'avait pas compris. Et puis, de murmures en murmures, au détour d'un regard fuyant, d'une main fermée, d'un silence inattendu, il avait réalisé à quel point cette fille lui restait complètement inconnue. Leurs disputes n'avait plus rien de jeux, ils passaient des heures à se poursuivre, leurs mots se perdaient, elle lui prenait la tête dans les mains et le couvrait d'excuses, il ne pouvait pas comprendre, c'était la première fois que ça lui arrivait, elle ne lui en voulait pas pour ça. "C'est toi, tu veux jamais m'expliquer", il lui avait répondu, dans la salle d'attente, où il avait bien compris cette fois que c'était déjà fini.

"C'est mieux pour nous, tu comprends?", elle lui a dit, juste avant de partir.

Il n'a pas répondu.


"T'es sûr que tu veux aller par là? Ça a l'air dangereux, non?"

"Mais non, t'inquiète pas, j'y vais tous les ans. Allez, viens..."

"Attends, t'es déjà venue ici? Genre, toute seule?"

"Ben oui, pas toi?"

"...Non, je sais pas, ça m'attire pas trop."

"Mais si, tu vas voir, y a une plage au bout, c'est trop beau! Viens, je vais te faire découvrir."

Le Latevember 2024Where stories live. Discover now