Entre les mondes

Chapitre 19

Alana 

Je posai le pied sur le pont, inspirant profondément alors que chaque craquement sous mes pas résonnait dans le silence. Le bois usé menaçait de céder, et la rivière grondait en dessous, comme un avertissement. À chaque pas, je concentrais mon regard sur l'autre rive, refusant de me laisser distraire. Lorsque j'atteignis enfin l'autre côté, un mélange de soulagement et de tension persistait en moi. Je ne savais pas encore ce qui m'attendait, mais l'idée de suivre seule ce chemin, entre les arbres, guidée par des foulards accrochés aux branches, me rappela combien ce moment était décisif.

Je marchais en silence, réfléchissant à la manière de me présenter aux autres. Un doute sourd grandissait en moi : comment allaient-ils me percevoir ? Je ne maîtrisais pas vraiment mes pouvoirs, et je n'étais même pas certaine du royaume auquel je souhaitais vraiment appartenir pour les épreuves, Le Feu ? L'Eau ? Je connaissais si peu de choses, seulement cette étincelle fragile qui n'avait pour l'instant jamais évolué au-delà de quelques gouttes d'eau. Malgré les entraînements avec Clovis, Côme, et Séraphine, je n'étais qu'à moitié comme eux.

Après plusieurs minutes de marche, le campement apparut au détour d'un sentier. Devant moi s'étendait un vaste terrain de rassemblement, où des tentes rudimentaires étaient dispersées, formant un des couloirs. Au loin, une montagne enneigée surplombait l'endroit, ses flancs enveloppés de nuages, créant un tableau d'une beauté austère et intimidante une nature qui sur Terre serait rare. Le camp grouillait d'activités : environ deux cents guerriers et guerrières se déplaçaient, certains en petits groupes, d'autres isolés dans leurs préparatifs ou leurs pensées. L'ampleur de cette réunion me frappa, et je ressentis un bref vertige en réalisant que j'étais désormais une part de cet ensemble. Par reflex je cachai mon épaule avec ma cape pour dissimuler ma blessure.

J'avançai dans le camp, incertaine et un peu perdue. Partout, des groupes semblaient déjà formés, chacun absorbé dans ses échanges, ses rires ou ses discussions animées. J'observais les autres, me demandant comment j'allais bien pouvoir me fondre parmi eux. Beaucoup arboraient fièrement des insignes aux couleurs de leurs royaumes : le vert pour ceux de la Terre, le bleu pour l'Eau, le rouge flamboyant du Feu, et le gris pour ceux de l'Air. Ils semblaient si solides, si sûrs d'eux, des combattants aguerris au corps musclé et aux gestes précis. Je ne pouvais m'empêcher de me demander si, malgré ma préparation, je n'allais pas faire tache au milieu d'eux.

Alors que je m'interrogeais, une voix enjouée m'arracha à mes pensées.

— Hé, toi ! C'est bien la première fois que je te vois, guerrière du Feu, non ?

Je levai les yeux et croisai le regard d'un homme métis aux cheveux bouclés et au sourire éclatant. Sa présence dégageait une chaleur rassurante, tranchant avec l'austérité de l'endroit et l'attitude tendue des autres.

Avant même que je ne puisse répondre, il tapota mon sac d'un geste amical.

— Le Feu, hein ? Bienvenue dans la famille !

Surprise, je fronçai légèrement les sourcils avant de lui demander, intriguée :

— Comment tu sais que je suis du Feu ?

Il me lança un regard curieux, un sourcil levé comme s'il trouvait étrange que j'ignore la réponse. Il pointa mon sac, un sourire en coin.

— Ton blason est cousu ici, juste là, dit-il en montrant l'emblème discret mais visible du Feu.

Un sourire me vint malgré moi. Je repensai au geste furtif de Côme, juste avant mon départ, lorsqu'il avait discrètement glissé quelque chose dans mon sac. J'avais cru qu'il s'agissait d'un objet précieux, d'un talisman peut-être, mais non, il m'avait simplement attaché ce blason. Un geste presque anodin, mais qui prenait maintenant tout son sens. Côme avait veillé à ce que je sois intégrée, identifiée comme une des leurs, sans même un mot. Ce souvenir réchauffa mon cœur un instant.