Chapitre 1 (Joshua)

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Le sentiment de soulagement que je ressens lorsque je comprends que tout est enfin terminé est assez

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Le sentiment de soulagement que je ressens lorsque je comprends que tout est enfin terminé est assez... indescriptible. Les paupières closes, les souvenirs de ma vie jusqu'à aujourd'hui me repassent devant les yeux, notamment les pires et les plus violents, et un frisson me remonte l'échine. Je revois papa, Ezekiel et Silas, je me revois moi, et quatre mots tournent en boucle dans ma tête. Ma voix intérieure n'a de cesse de répéter c'est terminé, c'est fini, et je sais qu'elle dit vrai. C'est la raison de ma satisfaction.

Dans la chambre de Silas, tout n'est plus que silence. Les cris et les sanglots ont cessé. Tout comme ma colère, ma peur et mon dégoût. Je respire au rythme du tictac de son vieux réveil vintage, posé sur sa table de chevet, à l'effigie du super-héros préféré de son enfance. Ça m'aide à me calmer, bien que mon coeur tambourine encore à vive allure dans ma cage thoracique.

— Joshua...

La voix de mon frère me ramène à moi lorsqu'il descend du lit sur lequel il s'était réfugié. Ses pieds nus s'enfoncent sur la moquette, enjambent le cadavre de mon père, et ses bras d'adolescent se referment autour de moi. C'est alors que je m'apprête à le rassurer, à lui dire n'importe quoi, que je réalise que ce n'est pas lui qui tremble mais moi.

— Tout va bien, Silas.

Ce n'est pas lui que j'essaie de convaincre. Malgré la scène à laquelle il vient d'assister, je sais qu'il a compris. Et j'ai beau savoir que c'était nécessaire, qu'il n'y avait pas d'autre issue possible, l'avenir me fait peur ; même s'il ne pourra jamais être pire que le passé.

Silas pose sa tête sur mon épaule et me berce contre lui. À genoux sur la moquette, les mains pleines de sang, je n'ose pas le toucher. Pourtant, j'ai terriblement envie de le serrer dans mes bras. Pour lui montrer que je suis là, que je suis son grand-frère, et que je n'échouerai plus jamais à le protéger. Qu'il est la chose, la personne, la plus importante dans ma vie aujourd'hui et que jamais je ne le laisserai tomber.

— Silas, Joshua, vous êtes là ?

La porte d'entrée claque au rez-de-chaussée, suivie par le bruit caractéristique des sacs de courses que maman dépose sur l'îlot central de la cuisine. Je devrais certainement m'alarmer, Silas devrait être en train de paniquer, mais ce n'est pas le cas. Nous avons trop souffert tous les deux, malgré notre différence d'âge et notre rapport à la vie, pour savoir que flipper maintenant ne servirait à rien.

Je m'en veux d'en être arrivé là et d'avoir compris, il y a peu, que je n'avais pas été le meilleur des grands-frères. Je m'en veux de ne pas avoir vu qu'il souffrait et culpabilise de ne pas avoir été là alors que, dans le fond, il avait besoin de moi. J'avais des oeillères. Mais aujourd'hui je suis là, j'ai ouvert les yeux et ai mis fin à son calvaire, et son câlin me prouve qu'il ne m'en veut pas. Rien n'est plus important que ça.

— Silas est-ce que...

La porte de sa chambre s'ouvre, le silence redevient maître, puis les hurlements de maman se mêlent au chaos du tableau que nous offrons. Qu'est-ce que tu as fait ? Joshua, qu'est-ce que tu as fait ? Elle répète cette phrase en boucle, effondrée au sol, hurlant de choc et de terreur. Les larmes et les sanglots se mêlent à ses cris d'horreur tandis que le sang se répand sur la moquette. Qu'est-ce que j'ai fait ? Comme si c'était moi le coupable. Et lui, qu'a-t-il fait ? Rien et tout à la fois. Il n'a jamais été un père, mais a toujours été un monstre. L'homme, dont le corps sans vie et mutilé est étendu devant moi, ne représente rien pour moi depuis des années déjà. Et je n'ai pas honte ni peur d'admettre que je ne regrette pas.

Je ne sais pas combien de temps s'écoule entre le moment où maman découvre l'horreur, m'arrache Silas et celui où les sirènes de police se font entendre. Les minutes s'égrènent, durant lesquelles je fixe la flaque de sang, noir et épais, se répandre au sol à mesure que ce porc se vide. J'essuie mes mains dans les fibres poreuses de la moquette, près de mes genoux, là où j'ai déposé le couteau de cuisine, mais cela ne suffit pas. Le liquide rouge et chaud s'incruste sous mes ongles et colle à mes phalanges, me filant subitement la nausée.

— Les mains en l'air.

Je souris, dos à la porte de la chambre. J'ai beau être dans les vapes, ne plus trop me rappeler comment tout ceci a commencé, je sais une chose : je n'ai aucune intention d'opposer de la résistance. Je savais à quoi m'en tenir dès l'instant où j'ai franchi cette porte ce matin. S'il faut assumer, alors j'assumerai.

Le cliquetis des menottes que l'on me passe me ramène quelque peu à la réalité, tout comme la manière dont un flic me relève de force. Je me rends compte, à cet instant, que je suis vidé de toute énergie, de toute émotion, de tout souvenir. Mon corps peine à se mettre en mouvement dans une réalité qui me semble, soudainement, bien moins claire et encore moins évidente.

— Prends-soin de Silas.

Maman ne me regarde pas lorsque les flics me trainent dans le couloir comme un vulgaire criminel. C'est ce que je suis à ses yeux ; une âme perdue qui ira brûler en enfer. Si seulement elle savait que celle de papa s'y trouve déjà.

— Allez, on y va.

On m'embarque dans un véhicule de police, sous les regards des voisins choqués et les déclencheurs des appareils photo de la presse locale. Nul n'est habitué à assister à de tels drames dans le quartier.

— T'as perdu, papa.

Je murmure ces mots lorsque le véhicule se met en route, m'éloignant avec un sourire satisfait de cette maison dans laquelle il nous a détruits.

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