Cela faisait deux semaines qu'ils avaient quitté Pisani. Deux semaines que Dona avait perdu Kerk. Et, depuis deux semaines, une solitude si profonde l'accompagnait qu'elle se demandait si elle en ressortirait un jour indemne. Chaque nuit, son visage la hantait, apparaissant dans ses rêves comme une présence douce et irréelle qu'elle craignait de voir s'effacer peu à peu. Ces moments de rêve étaient comme des trésors qu'elle chérissait, sachant pertinemment que le temps finirait par lui voler cette image, par brouiller les contours de ce visage qu'elle aimait tant. Le temps, elle le savait, finit toujours par estomper les traits de ceux qui nous ont quittés, peu importe la force de l'amour que l'on a pu ressentir.Mais lorsque Kerk ne lui rendait pas visite en rêve, ce n'était pas le réconfort qui lui restait, mais les cauchemars. Elle revoyait la ville, réduite en cendres, cette place autrefois vivante qui n'était plus qu'un désert silencieux. Et elle revivait sans cesse cet instant insoutenable où la réalité l'avait frappée de plein fouet, où elle avait compris que tout était fini, qu'elle avait perdu son amour, son unique.
Ces cauchemars, tout comme ses souvenirs, lui faisaient l'effet d'une brûlure persistante, un rappel douloureux de tout ce qu'elle ne retrouverait jamais.
Comment pourrait-elle s'en remettre ? Elle savait qu'elle ne le pourrait pas, qu'elle ne retrouverait jamais vraiment la paix. Alors, au lieu de s'effondrer jour après jour, malgré cette envie lancinante de laisser les larmes couler, elle se tenait droite, défiant le poids écrasant de la vie qui continuait, cette vie cruelle qui lui avait tout pris.
La seule « bonne » nouvelle, se répétait-elle presque avec cynisme, c'était qu'elle n'avait plus rien à perdre. Plus rien, hormis John. Mais, curieusement, elle sentait qu'il était une constante dans ce chaos, qu'elle ne le perdrait jamais. Il restait là, à ses côtés, à une distance respectueuse, presque imperceptible, mais bien réelle. Une présence silencieuse, sans mots inutiles, juste assez proche pour lui rappeler qu'elle n'était pas complètement seule. Ce simple fait suffisait à lui apporter une lueur de réconfort, pas assez pour faire disparaître la douleur, mais assez pour l'empêcher de sombrer.
John ne parlait pas de la perte qu'elle vivait, ni de la souffrance qui lui broyait le cœur. Il ne posait pas de questions, ne lui demandait pas d'aller mieux. Et pourtant, sa seule présence, calme et inébranlable, faisait office de pilier sur lequel elle pouvait s'appuyer sans qu'il ne le dise. Juste le savoir là, prêt à la soutenir si elle en avait besoin, lui faisait du bien.
Pendant ces deux longues semaines de voyage, ils avaient, par un enchaînement presque miraculeux, réussi à trouver suffisamment de vivres pour subsister. Chaque jour était une épreuve, mais ils avançaient, chacun plongé dans ses pensées et ses douleurs, enveloppés dans un silence respectueux.
Dona, profondément ancrée dans son deuil, avait perdu de son énergie habituelle. Ses gestes étaient plus lents, et elle parlait peu, son esprit tourné vers un abîme intérieur où elle se retrouvait seule face à sa perte. Mais malgré cette fatigue, elle s'accrochait à une chose : l'organisation de leur arrivée. Elle passait chaque nuit, sous la faible lueur des étoiles, à réfléchir, à établir des plans, des stratégies, comme pour maintenir un semblant de contrôle dans un monde qui lui échappait complètement. Elle avait prévu chaque détail, jusqu'aux phrases que chacun devrait prononcer à leur arrivée, retombant ainsi dans ses anciennes habitudes de tout orchestrer, de ne laisser aucune place à l'imprévu.
Elle s'accrochait à ce contrôle avec une intensité qui semblait presque désespérée. Tout lui échappait, mais ici, dans la minutie de ses plans, elle retrouvait un semblant de maîtrise, même si elle savait, au fond, que ce n'était qu'illusion.
L'équipe la laissait faire sans la moindre objection. Ils comprenaient que, dans sa fragilité, elle avait besoin de ce semblant d'ordre. Ce travail invisible était pour elle comme un fil auquel elle se suspendait, un refuge temporaire face à la douleur. Eux-mêmes en tiraient un certain réconfort, sachant qu'elle canalisait sa peine dans quelque chose de tangible. En silence, ils la soutenaient dans cet acte, sachant que parfois, pour survivre à une perte, on doit reconstruire un fragment de normalité, aussi fragile soit-il.
VOUS LISEZ
Ostru: Fragments d'un Monde Déchu
Adventure25 ans après une apocalypse, l'humanité a basculé dans le chaos. Cette apocalypse, issue d'une guerre, a balayé la civilisation, laissant derrière elle des ruines et des terres ravagées. Avant cette chute, la majorité des êtres humains possédaient...