Papa, tu ne vois pas que tes "blagues" me blessent ? Tu ne vois pas que je complexe sur ma grosseur, suffisamment pour me priver de petit-déjeuner ou de goûter ? Tu ne vois pas que me dire, pince-sans-rire, "pour rigoler", que mes notes sont insuffisantes alors que j'ai 18 de moyenne ? Tu ne vois pas que me mettre une pression pour qu'en plus d'être intellectuelle je soit sportive me détruit ? Je fais sept heure d'escalade intensive par semaine, sept putain d'heure qui me laisse épuisée ? J'aime l'escalade, j'adore ça même, Mais dix heures de sports par semaine en comptant le collège c'est déjà trop, alors si en plus tu me dis de courir le seul jour "de repos" hors week-end que j'ai, je fais quoi ? Mon corps va lâcher, il lâche déjà, mes mains sont en lambaux et mes muscles courbaturés, je dors mal. Je suis en pleine croissance papa, je prends du poids et c'est normal, et tout ce que tu vas faire c'est me rendre petite à vie ! Alors excuse-moi de ne pas être motivée pour une simple balade en vélo le week-end ! Et, sérieusement, tu ne crois pas qu'il y a une raison pour laquelle je m'enferme dans ma chambre sur mon ordi ? Ça ne t'as pas effleuré l'esprit que je vais mal et que j'ai besoin de temps seule pour ne pas juste craquer ? Youtube, Wattpad, ce sont des anesthésiants, faute d'avoir un désinfectant, pour mes plaies à vif depuis trop longtemps. J'ai mis des années, papa, j'ai mis deux années entières à me laisser aller à penser que je me faisais harceler ! Alors oui, je me suis écartée, j'ai chercher un endroit sécurisé où personne ne me blessera, parce que je n'ai pas la force de les affronter ! Je parais sûre de moi, déterminée. La bonne blague ! Je fais du théâtre, je joue à la perfection le rôle qui a été décidé pour moi dans cette vie. Je n'ai plus de masque, j'ai une armure, sculptée par des années de souffrances silencieuses. Je n'ai plus de larmes, papa, mes larmes, à force d'être ravalée, ce sont taries. Le pire, c'est que bientôt, la muraille de mon coeur sera finie. J'ai vécue ma primaire dans une amitié toxique qui me faisait souffrir, je ne l'ai réalisé que récemment et j'en garde des traces, des fondations.
Et toi, Élise, que fais-tu ? Pourquoi fais-tu ça ? Tu sais que je t'aime, tu le sais, et tu sais que j'accepte que tu ne m'aimes pas. J'accepterais tout de toi, Élise, qui que tu aimes, quoi que tu décide ou aie besoin. Je respecte cet espace vital, je le comprends et l'accepte. Mais là... c'est violent. Tu m'en exclue, totalement, et je n'aurai aucun soucie avec ça si tu le faisais avec tout le monde. Tu me repousse, mon coeur se recroqueville et se cache. Tu es en droit de le faire ; je ne peux m'en prendre qu'a moi-même si je t'aime. Mais j'ai mal. Je sais que je ne devrais pas... déjà que tu m'as acceptée en me sachant bi... mais j'ai mal. Quand tu choisis une fille avec qui tu n'es pas spécialement amie à ma place, je trouve ça louable. Mais je me retrouve toute seule. Je n'ai pas envie de revivre cette amitié toxique, alors je me protège. Désolée, mais il n'y a plus de place dans mon coeur.
Et vous croyez que c'est par bonté de coeur que je m'habille ainsi ? Si sale, si moche. Déjà en primaire, ma coiffure était strictement uniforme par peur du jugement. Si par malheur elle changeait, je tremblais, terrorisée. Et que dire de mon "vrai" harcèlement ? Je ne pourrais jamais réparé ce qui a été cassé. J'ai mis un an à sortir de chez moi habillée convenablement, même avec ma famille, et une autre année à enfin me couper les cheveux au carré et me laisser aller. Et ma garde-robe ne s'est pas arrangée. Les réseaux, c'est le seul moyen d'être moi sans peur. Et encore, je choisi mes mots. Chaque ligne, même à l'apparence désinvolte, me demande un temps de réflexion, chaque syllabe, lettre allongée, majuscule est pesée à la perfection. Je vis dans la peur et l'angoisse, et je n'ai pas guérie.
Je suis sous anesthésie générale depuis longtemps déjà.
Mes amies et Internet en sont les principaux acteurs. Mais mes plaies sont infectées, empoisonnées, et rouverte à la moindre sollicitation. Et un jour, l'effet magique cessera et tout me retombera dessus d'un coup. Un jour, je m'effondrerai.
Avant cette anesthésie, j'avais une autre forme de soulagement. Je ne me tranchais pas directement la peau. Je ne laissais aucune trace.
Mais je trouvais le réconfort dans la douleur.
Et, longtemps, seule ma famille ma raccrochée à la vie.
Je suis une survivante de cet enfer que l'on nomme collège, mais comme la guerre, il laisse des trace.
Surtout que j'y suis encore.
Le pire, c'était peut-être que je savais pas quoi faire. Le moindre geste pouvais être source de moquerie. J'étais piégée dans un cercle vicieux - et mon harceleur principale disait qu'on le harcelait ! Il pleurait chez la CPE, la seule fois où on l'a convoqué pour ça.
On lui dit que quelle que soit sa vie, il n'est pas obligé de le répercuter sur nous ? Nous aussi, on souffre, et on se tait.
Deux années consécutive, j'ai été dans sa classe. Les profs étaient aveugle ou impuissant, mais surtout lâche. Et deux années consécutive, ça a été tous contre nous. Il était fort pour nous victimiser, Charly. Très fort.
Je n'ai jamais eu le courage de parler. Les psychologue sont incompétent. Je n'en ai vu qu'une fois, en primaire, pour sauter une classe - une manière de vérifier qu'on en a les capacités et l'envie -, et je n'ai pas pu lui parler de mon sentiment d'inadéquation avec mes "amies". J'avais beau avoir lu des centaines de livres, les mots ne sont pas sortis.
On m'a proposé de me confier, sur Wattpad. Comment ? Je vous ennuierais.
Et mon père qui râle de mes manges et animes...
Papa, j'en ai besoin. J'ai besoin de les avoir, à moi seule, pour pouvoir me raccrocher à quelque chose. Quand je doute, je les regarde, je pense à eux, et le courage me revient.
Sans eux, tu n'aurais plus de fille.
Idem pour mes romans, beaucoup plus conséquents. Le seul problème, c'est que je me dit qu'ils ont vécu dix fois pire pour surmonter les obstacles, et une fois l'obstacle dépassé, le contrecoup me clou à terre. J'ai alors besoin d'autres mots pour que mes ailes se déploient de nouveau.
La musique.
Un autre des filins qui me gardent en vie et sous anesthésie. Tant de paroles trouve leurs échos en moi. Pas des plus joyeuses.
Je ne vole pas, c'est fait pour les gens bien, les gens qui méritent d'être heureux, les gens qui ne mentent ni aux autres ni à eux-même. Mais je rampe péniblement dans la boue, mes ailes déployée pour me protéger du soleil.
Car à force de vivre dans la tempête, on finit par l'apprécier.
Le soleil me brule, démone que je suis, alors que la pluie me sauve et me fais planer.
Après tout, je suis une fille qui à vécu dans la sécheresse et l'angoisse de voir notre planète dévastée.
Je me demande ce qui leur a prit de nous sensibiliser au réchauffement climatique et à l'écoresponsabilité si jeune... On est plus angoissés à mort qu'autre chose. Surtout quand on voit ce que vous avez fait à notre monde. Le dictionnaire a doublé de volume depuis cinquante ans, et pas avec de beaux mots.
Et l'homophobie !
La grossophobie !
Vous n'avez plus d'âmes.
J'en ai marre de ce monde.
Voilà, désolée de vous avoir embêté avec ça. J'avais besoin de me confier, ou plutôt de tout lâcher, de laisser tomber. C'est trop dur. Donc je ne me relis pas. Ou je vais tout effacer.
J'ai douze ans.
J'ai une pression scolaire et sportive énorme sur les épaules.
J'ai un harcèlement que je traine et qui me torture.
Je suis à bout.
Les filins se rompent les uns après les autres.
Ceci est un dernier au secours.
