L'écho des sacrifices

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Ailee

Le ciel, ce matin-là, n'était qu'un reflet de ma propre âme : couvert de nuages sombres, menaçant de pluie. Je m'étais réfugiée une fois de plus dans les jardins ,  devenu le théâtre de mes tourments. Je restais assise sur le banc de pierre, les mains tremblantes et le regard perdu. La fraîcheur mordait ma peau, mais elle ne parvenait pas à engourdir la douleur qui me rongeait de l'intérieur.

Je repensais aux nuits passées, à l’obscurité de ma chambre où les étoiles ne suffisaient plus à me guider. À ce moment où, accablée par la confusion, j'avais pris l'ouvre-lettre sur mon bureau, mes mains moites et mon cœur battant à un rythme déchaîné. La lame, froide et impassible, avait marqué ma peau comme pour tenter d’expulser le chaos qui m'étouffait. Je ne l'avais fait qu'une fois, mais la cicatrice restait un rappel silencieux de ma faiblesse, de la bataille que je ne cessais de perdre.

Je savais que c’était dangereux, que ce n’était pas la solution, mais ce sentiment de désespoir, de ne pas appartenir à ma propre vie, me dépassait. Me marier avec Evan… laisser Kenna dans l’ignorance de ce que j’éprouvais réellement pour elle… tout cela me déchirait, chaque jour un peu plus.

Le bruissement de pas précipités me tira de mes pensées, et je me raidis. Kenna apparut dans mon champ de vision, et, en la voyant, mon cœur se contracta douloureusement. Ses cheveux, lâchés, flottaient autour de son visage inquiet, et ses joues étaient légèrement rosies par l’effort de sa course. Elle s’arrêta à quelques mètres de moi, essoufflée.

-Ailee, » appela-t-elle doucement. Il y avait dans sa voix une tendresse qui me fit l'effet d'un poignard.

Je ne pouvais pas fuir son regard. Il était trop tard. Elle s’approcha et s'agenouilla devant moi, ses yeux cherchant les miens.

-Pourquoi m’évites-tu ? Pourquoi t’isoles-tu encore ?

Je me mordis la lèvre, détournant les yeux pour regarder les pétales qui se détachaient des fleurs alentour

- Parce que je ne peux plus... Ma voix s’étrangla.  Je ne peux plus prétendre.

Sa main se posa sur la mienne, et je tressaillis, mais je ne la retirai pas.

- Parle-moi, Ailee,  supplia-t-elle, et il y avait dans ses mots un désespoir qui résonnait avec le mien.

Je pris une inspiration saccadée.

-Je suis piégée, Kenna. Entre ce que je suis censée être et ce que je veux être. Je ne peux plus manger, je ne peux plus dormir. Ma voix tremblait, et les larmes brûlantes coulaient sur mes joues.
Tout ce que je fais, tout ce que je ressens… c’est trop.

Elle fronça les sourcils, sa main se crispant sur la mienne.
- Tu ne manges plus ?  Sa voix était si basse que je crus l’avoir imaginée.

Je hochai la tête, honteuse.

- J’ai essayé, mais c’est comme si tout se coinçait. Comme si mon corps refusait de continuer.

Son regard se durcit, et elle serra mes mains avec plus de force.

-Tu dois arrêter de te faire du mal.  Puis, son expression changea, se durcissant encore davantage lorsqu’elle aperçut la marque à peine cicatrisée sur mon poignet, là où la lame avait laissé sa trace. Ses doigts se figèrent sur ma peau.

-Ailee...

Je sentis mon cœur se contracter de douleur et de culpabilité.

- Ce n’était qu’une fois,  murmurai-je, la honte me submergeant.  Mais le vide, Kenna… il est insupportable.

𝑳𝒆𝒔 𝑶𝒎𝒃𝒓𝒆𝒔 𝑫𝒖 𝑫𝒆𝒔𝒕𝒊𝒏 Où les histoires vivent. Découvrez maintenant