Chapitre 23 - Les gardiens de ce souvenir

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La matinée était calme, presque immobile. Agatha errait dans la maison silencieuse, ses pensées flottant entre passé et présent. Puis, un coup résonna à la porte, brusquement brisant la quiétude. Elle fronça les sourcils, surprise que quelqu'un ose la déranger sans prévenir.

En ouvrant, elle tomba nez à nez avec un facteur, qui tenait une petite boîte en carton. Affichant un air hésitant, comme si son instinct lui conseillait de filer à toute vitesse.

- « Puis-je vous aider ? » demanda-t-elle avec sa voix traînante, son regard perçant qui semblait évaluer la moindre faiblesse chez lui.

- « Euh... Un colis pour vous, madame, » répondit-il maladroitement en lui tendant la boîte.

Elle lui adressa un sourire poli, mais chargé de condescendance.

- « Eh bien, merci, » dit-elle avec une élégance calculée, sans même chercher à dissimuler son ennui. Elle prit le paquet troué.

Le facteur, visiblement nerveux sous ce regard froid, balbutia une salutation rapide et s'éloigna rapidement. Agatha eut un sourire sarcastique effleurant ses lèvres. Les gens étaient si faciles à intimider. Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu de visite, aussi brève soient-elles.

Mais son amusement s'éteignit lorsqu'elle posa les yeux sur la boîte. Son nom en grandes lettres figurait sur le haut, écrit à la main. Elle posa délicatement le paquet au sol devant sa porte.

Lorsqu'elle souleva le couvercle, un doux petit museau apparut, frémissant timidement, et elle laissa échapper un souffle de surprise.

Un lapereau, minuscule et recroquevillé, la regardait avec des yeux ronds et sombres, encore apeuré. À côté du petit animal reposait une enveloppe scellée de cire noire, légèrement grignotée. Portant également son nom en lettres élégantes.

Le cœur d'Agatha se serra instantanément. Elle connaissait cette écriture, ces lignes sombres et précises. Lentement, presque comme si elle redoutait ce qu'elle allait y découvrir, elle ouvrit la lettre.

"Querida Agatha," commençait le message, et l'espagnol résonna en elle avec une nostalgie amère, réveillant des souvenirs enfouis. Elle sentit son cœur se tendre davantage, comme si ces mots ranimaient une douleur qu'elle pensait avoir endormie.

"Je sais que le temps ne guérit pas les blessures comme les nôtres, et que rien ne peut ramener ce que nous avons perdu. Mais il reste des façons de se souvenir, des façons d'apprendre à vivre avec ce qui ne peut pas être réparé. Ce petit lapin est une part de moi que je te confie, un souvenir vivant, un compagnon. Peut-être pourra-t-il, à sa manière, te rappeler la beauté de ce que tu portes toujours en toi.

Reste toi-même, affronte ta douleur comme tu l'as toujours fait. Le chaos est une force, mais il n'a pas besoin d'effacer ce qui fait de toi... toi.

En espérant que ce petit paquet te trouve à temps.

Con todo mi cariño,
Rio."

Les mots flottaient devant ses yeux alors qu'elle lisait et relisait la lettre. Rio, même après ces années, avait trouvé un moyen de toucher son cœur, de briser ses défenses avec ce simple présent.

Elle posa la lettre et regarda le lapereau, le cœur lourd. Le petit être semblait la fixer, comme s'il comprenait les tourments qu'elle portait.

Sans s'en rendre compte, elle murmura à voix basse, comme si elle s'adressait à lui.

- Tu me rappelles tout ce que j'ai aimé... et tout ce que j'ai perdu.

Elle sentit les larmes monter, mais elle les retint. Le souvenir de Nicholas traversa son esprit comme un éclair douloureux, et le nom de famille de Nicky, choisi ensemble refit surface. Scratch. "À partir de rien".

Nicholas était né du néant, et elle avait perdu ce qu'elle avait de plus précieux, emporté par la force incontrôlable de ses pouvoirs.

Elle fixa le lapin, sentant une étrange chaleur se propager en elle. Ces yeux, une innocence qui lui rappelait l'enfant qu'elle avait perdu. Elle passa délicatement ses mains sous le ventre de l'animal.

Ce petit être représentait un pont entre ce passé douloureux et l'avenir qu'elle refusait encore de construire.

Un sourire triste se dessina sur ses lèvres tandis qu'elle murmurait en espagnol, la voix presque cassée par une émotion si longtemps contenue.

« Te llamaré Señor Scratchy, en souvenir de Nicholas... et de toi, Rio. »

Le nom résonna dans le vide, remplissant l'espace d'une étrange mélancolie. En la nommant, elle savait qu'elle acceptait une part de ce qu'elle refusait de voir depuis si longtemps.

Son chagrin ne disparaîtrait jamais, mais il ferait toujours partie d'elle, tout comme Nicholas resterait toujours vivant dans son cœur.

Elle serra le petit lapin contre elle, sentant sa chaleur et ses battements rapides, et murmura une dernière fois.

« Bienvenue, Señor Scratchy. Soyons les gardiens de ce souvenir... ensemble. »

Agatha Harkness - Le procès de la sorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant