Prologue

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Cherry se tenait dans l'ombre du vieux chêne, là où personne ne pouvait la voir, les bras repliés contre sa poitrine, les yeux baissés sur les pavés humides de l'école, toujours un noeud papillon dans les cheveux propre à son identité.

L'automne était arrivé trop tôt, emportant avec lui la chaleur, mais aussi la lumière. Elle détestait cette saison, les feuilles mortes, les ciels gris et les journées qui semblaient se refermer sur elle comme une lourde couverture. Mais ce qu'elle détestait par-dessus tout, c'était l'école.

Les murmures dans les couloirs, les rires derrière son dos, les insultes. "Freak", "nerd", "les yeux de sa mère" — des mots qui se glissaient sous sa peau, comme des aiguilles invisibles, et la rendaient plus petite encore. Ses livres, sa seule échappatoire, devenaient les pierres de son isolement. À 17 ans, elle n'avait pas beaucoup d'amis, mais elle avait l'intelligence de se cacher derrière des pages et des chiffres, loin du regard cruel des autres.

Chez elle, c'était pire. Depuis la mort de sa mère, il n'y avait plus que la colère de son père. Il avait changé. Avant, il était un homme gentil, souriant, mais la douleur l'avait transformé en quelque chose d'effrayant. Ses mains, autrefois pleines de douceur, s'étaient serrées en poings de colère. Elle avait appris à éviter son regard, à ne jamais croiser son chemin lorsqu'il rentrait ivre du travail. Mais ça ne l'empêchait pas de se réveiller chaque nuit, tremblante, écoutant le bruit des pas dans l'escalier.

Et puis, un jour, il y eut lui.  il y eut Monsieur Brooke.

Il avait pris ses fonctions en début d'année en tant que professeur d'art, et tout avait changé. Il était jeune, un peu nerveux, mais il avait ce regard qui laissait transparaître une compréhension qu'elle n'avait jamais rencontrée. Il n'essayait pas de la faire participer à des discussions bruyantes, il ne la jugeait pas. Au contraire, il semblait s'intéresser sincèrement à ses dessins, à la manière dont elle capturait la lumière sur une feuille de papier, comment elle traduisait ses émotions dans des esquisses.

Un jour, après les cours, il l'avait approchée timidement, un sourire doux sur les lèvres, et lui avait dit :

« Tu as un vrai talent, Cherry. Il faudrait que tu exposes tes œuvres. »

Ces simples mots avaient suffi pour faire naître quelque chose en elle, quelque chose qu'elle ne pouvait pas ignorer. Dans ses yeux, elle avait vu quelque chose de différent. De la compassion. Une forme d'admiration. Il la voyait, pour la première fois, comme plus qu'une élève solitaire et marginale. Il la voyait comme une artiste.

Le problème, c'est qu'elle savait. Elle savait que la moindre étincelle d'espoir pourrait tout faire exploser. Parce que lui, Monsieur Brooke, était un professeur. Un homme adulte, dans une position de pouvoir. Et elle, elle n'était qu'une jeune fille de dix-sept ans, perdue entre l'ombre de son père et la lumière fragile de cette relation qui naissait entre eux.

C'était interdit, dangereux. Mais à chaque regard qu'il posait sur elle, à chaque mot qu'il murmurait dans la douceur de la classe d'art, Cherry sentait quelque chose grandir. Pas de la simple admiration. Non. C'était quelque chose de plus complexe, de plus douloureux, et de plus vrai que tout ce qu'elle avait ressenti jusqu'à ce jour.

Elle ne savait pas comment tout cela finirait. Elle savait juste que chaque instant passé près de lui était un risque, un pas de plus vers un abîme qu'elle n'osait pas franchir. Mais comment ignorer ce qu'il éveillait en elle ? Comment échapper à ce qui brûlait doucement dans son cœur ?

Le monde autour d'elle était un piège. Et pourtant, Monsieur Brooke était la seule porte d'entrée vers un ailleurs, une échappatoire. Mais dans ce monde-là, il n'y avait pas de place pour eux.

Et Cherry, dans son cœur, savait que cette vérité était aussi douloureuse qu'évidente : il n'y aurait jamais de place pour eux deux, pas dans ce monde.

Et Cherry, dans son cœur, savait que cette vérité était aussi douloureuse qu'évidente : il n'y aurait jamais de place pour eux deux, pas dans ce monde

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