Les ombres sur Valmont s'épaississaient.
Dans son bureau de la Tour Crystalys, Effie observait les derniers titres défiler sur son écran.
Le Times avait consacré une double page à l'affaire Ghost, analysant méticuleusement chaque chute orchestrée depuis Lydia Hastings.
Le Guardian creusait les connections financières
entre les familles touchées, tandis que le Telegraph spéculait sur l'identité du mystérieux justicier qui ébranlait l'élite.Cette attention médiatique transformait son quotidien en un exercice d'équilibriste permanent.
Son appartement du quartier historique, avec ses hauts plafonds victoriens et ses fenêtres donnant sur les toits de Valmont, était devenu une prison dorée.
La presse, l'élite, cette lettre étrange... Tout commençait à se fondre en un ensemble oppressant, chaque élément tissant une toile qui se resserrait autour d'elle.
Chaque soir suivait le même rituel : vérification des caméras de surveillance, scan des systèmes de sécurité, analyse des mouvements de ses cibles sur son ordinateur crypté. La paranoïa s'installait, insidieuse comme une ombre qui s'allonge au crépuscule.
Le simple bruit des pas dans le couloir la faisait désormais sursauter.
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Waterstones, nichée dans une bâtisse georgienne de Bridge Street, offrait un rare moment de répit.
L'odeur familière du cuir et du papier ancien, le craquement rassurant des parquets centenaires, les rayonnages en chêne sombre qui s'élevaient jusqu'aux moulures du plafond - tout ici respirait une Angleterre immuable, loin des intrigues qui agitaient Valmont.
Effie parcourait les allées sans but précis, ses talons Louboutin étouffés par les tapis usés, cherchant un moment de paix dans ce chaos orchestré.
C'est alors qu'elle le vit. "Great Expectations", dans son édition Penguin Classics, reliure en cuir patiné par le temps.
Le même exemplaire que celui de son père... Sa main se figea en plein mouvement. Des années de contrôle, de masques successifs, et pourtant, la simple vue de ce livre suffisait à ébranler ses défenses. Une larme silencieuse glissa le long de sa joue.
"Elena ?"
La voix de Kit la ramena brutalement au présent.
Elle ne l'avait pas entendu approcher, trop perdue dans ses souvenirs.
Il se tenait là, dans un costume Savile Row bleu marine qui soulignait son élégance naturelle, une présence qui semblait presque déplacée parmi les vieux volumes poussiéreux.
Effie tenta de recomposer son masque d'Elena Martel, mais il était trop tard.
Kit l'avait surprise dans un moment de vulnérabilité qu'elle n'avait jamais laissé paraître.
Son regard, habituellement si calculateur, s'était adouci d'une façon qu'elle n'aurait jamais permise en temps normal.
"Dickens," dit-il doucement, observant le livre qu'elle tenait encore. Ses mains tremblaient imperceptiblement, trahissant une émotion qu'Elena Martel n'était pas censée posséder.
"Je..." Sa voix se brisa, un son si étranger à son personnage habituel que Kit en fut visiblement surpris. Elle essuya rapidement sa joue du bout des doigts, tentant de reprendre contenance.
Pour la première fois, il voyait une fissure dans la façade parfaite de cette femme mystérieuse qui naviguait si habilement dans leur monde privilégié.
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Le maître des ombres
Misteri / ThrillerDans les rues scintillantes de Valmont, Effie avance tel un fantôme, hantée par un unique but : découvrir la vérité sur la mort mystérieuse de son père. Mais dans cette ville où les secrets sont une monnaie d'échange, chaque pas vers la révélation p...