Chapitre 1 : Le Poids de l'Incertitude

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Je suis assise dans le cabinet du médecin, dans un silence si oppressant qu'il semble remplir la pièce entière. La climatisation ronronne doucement, et ce bruit devient un refuge temporaire, quelque chose sur lequel me concentrer pour éloigner le malaise. Sur l'écran, l'IRM affiche des images de mon cerveau, étranges et incompréhensibles, comme des cartes d'un monde que je n'arrive pas à déchiffrer.

Le médecin, un homme d'âge moyen aux lunettes rondes et aux cheveux bruns tirant sur le blanc étudie les scans en silence avant de se tourner vers moi. Il prend une grande inspiration et se prépare à parler, cherchant visiblement à trouver le ton juste.

"Tout va bien, Avelia. Rien d'inquiétant sur les images. Pas de signes précurseurs d'Alzheimer, ni de tumeur ou de lésion. C'est peut-être simplement de l'anxiété."
Le soulagement qu'il semble attendre de moi n'arrive pas. Je m'accroche à mes mains, mes doigts tremblant presque imperceptiblement.
"Mais... ça ne peut pas juste être de l'anxiété." Ma voix est basse, mais chaque mot tremble de frustration.

"J'ai l'impression que... que quelque chose m'échappe, docteur. Comme si j'étais absente, parfois."

Il hoche la tête, adoptant une attitude rassurante, presque paternaliste.
"Les épisodes de perte de mémoire sont souvent associés à des états d'anxiété. Vous êtes peut-être sous une pression que vous ne ressentez pas consciemment. Avez-vous envisagé que cela pourrait être psychologique plutôt que physique ? Peut-être une forme de stress ou même de fatigue mentale intense ?"Je me sens glisser, mes pensées s'embrouillent encore plus. Je veux m'accrocher à une explication, une raison solide qui rendrait toute cette confusion supportable.
"Mais je me sens bien la plupart du temps. J'ai une vie calme, je n'ai pas de gros stress. Rien qui pourrait... provoquer tout ça." Je baisse les yeux.
"Est-ce que ça pourrait être une sorte de... psychose ? Une hystérie ?"Il esquisse un sourire, et je me demande s'il trouve la situation presque triviale.
"Hystérie... c'est un terme que l'on n'utilise plus aujourd'hui, et même la psychose ne se manifeste pas forcément par des pertes de mémoire comme celles que vous décrivez. Peut-être avez-vous besoin de parler à quelqu'un. Un professionnel qui pourrait vous aider à explorer vos émotions. Parfois, les symptômes que vous ressentez viennent d'un refus inconscient de faire face à des souvenirs ou à des sentiments refoulés. Si la santé là-dedans ne suit pas, la santé physique non plus." Il ajoute, se tapotant la tête pour apporter de la clarté à ses propos.

Ses mots sont comme des vagues qui m'éloignent un peu plus de moi-même. Un "refus inconscient"... Je serre les lanières de mon sac à main, comme si cela pouvait m'ancrer à la réalité. Ce dont il parle n'a aucun sens. Pourquoi quelque chose dont je n'aurais même pas conscience pourrait se manifester de cette manière ? Le médecin me tend une carte d'un thérapeute en qui, dit-il, il a toute confiance.

"Il pourrait vous aider à comprendre ce qui se passe. Peut-être que parler à quelqu'un vous aidera à faire la lumière sur vos difficultés."

Je regarde la carte en silence, cherchant une réponse dans les mots imprimés dessus. Mais tout ce que je ressens, c'est cette impression d'être encore plus perdue.

Je marchais dans les rues, les bruits de la ville flous autour de moi, comme étouffés par l'épaisseur de mes pensées. L'échange avec le médecin résonnait encore dans mon esprit, chaque mot m'alourdissant un peu plus. Je peine à comprendre ce que je ressens ; une part de moi voudrait tout balayer d'un revers de la main, mais une autre, plus secrète semblait prête à écouter, comme si elle savait qu'au fond, quelque chose n'allait pas.

J'avançais sans but précis, m'enfonçant de plus en plus dans cette réflexion en spirale, jusqu'à ce qu'un éclat lumineux attire mon attention. En levant les yeux, j'aperçus l'enseigne familière de Sephora, l'endroit où je m'étais souvent réfugiée pour me perdre dans les flacons de parfums et les couleurs des rouges à lèvres. Sans trop réfléchir, je poussai la porte vitrée et entrai. À l'intérieur, la chaleur de l'air embaumée de fragrances me fit momentanément sortir de mes pensées. Je déambulais dans les allées, effleurant de mes doigts les flacons posés ici et là, laissant mon regard glisser sur les noms des essences, m'arrêtant de temps à autre pour tester un rouge à lèvres sur le dos de ma main. Tout semblait si léger, si superficiel, et pourtant j'aimais ces moments où je pouvais me perdre dans l'instant.

Celles et CeuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant