Chapitre 2 : Fuir l'obscurité

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(POV Élias)

La nuit était glaciale, mais je ne sentais rien. Le froid n'avait plus d'effet sur moi depuis longtemps. Tout comme la peur, le remords ou même la douleur. Alors que je gravissais le chemin boueux menant à la vieille maison que j'occupais depuis quelques semaines, je me surpris à penser à la serveuse de l'auberge.

Anaïs.

J'avais vu cette lueur dans ses yeux : celle d'une personne qui cherchait désespérément une issue. À quoi ? Je ne savais pas. Et je n'en avais pas le droit. S'attacher, c'était inviter la destruction.

La porte de la maison grinça lorsque je l'ouvris, dévoilant un intérieur sombre, dépouillé, qui n'était qu'un abri temporaire. Un matelas posé à même le sol, une table branlante couverte de papiers froissés, et une lampe à pétrole. Je laissai mon manteau tomber sur une chaise et m'assis dans l'obscurité, le visage dans les mains.

La mémoire est une ennemie cruelle.

Chaque fois que je fermais les yeux, je revoyais leurs visages : ceux que j'avais abandonnés, ceux que j'avais détruits. Ma vie était un fil noir tissé de regrets, et pourtant, je continuais à marcher, incapable de m'arrêter, comme une bête en fuite.

Je me levai brusquement, incapable de supporter ce poids plus longtemps. La pluie tombait désormais à verse, martelant la toiture avec une régularité hypnotique. J'ouvris la porte et sortis sur le seuil, laissant la pluie glacée s'écraser sur mon visage.

— Tu ne mérites rien de tout ça, murmurai-je à voix basse, s'adressant à un spectre invisible.

Mais la voix de la serveuse, douce et tremblante, s'immisça dans mes pensées.

"Je suppose que je ne me sens pas à ma place."

Une confession sincère, arrachée presque sans qu'elle s'en rende compte. J'avais reconnu ce sentiment. Je l'avais porté comme une seconde peau toute ma vie.

Soudain, une sensation étrange me tira de mes réflexions. Une présence.

Je fis volte-face, mes instincts en alerte. À travers la pluie, j'aperçus une silhouette, dissimulée derrière un arbre à quelques mètres de la maison. Mon cœur accéléra. Pendant une fraction de seconde, mon esprit bascula dans un souvenir : un homme embusqué, un couteau qui scintille sous la lumière d'une lune similaire à celle-ci.

Mais cette fois, ce n'était pas une menace.

La silhouette se déplaça légèrement, et je reconnus sa posture : Anaïs.

Elle portait une cape sombre qui la protégeait à peine de la pluie. Ses cheveux mouillés collaient à son visage, et même dans l'obscurité, je sentis la tension dans son regard.

Pourquoi est-elle ici ?

Je m'avançai lentement, mais pas trop. Je ne voulais pas l'effrayer.

— Tu comptes rester là toute la nuit ? lançai-je, ma voix calme résonnant dans l'air humide.

Anaïs sursauta, reculant d'un pas, mais ne fuyait pas.

— Je... Je voulais juste... Elle hésitait, cherchant ses mots.

— Me suivre ? complétai-je, un sourcil levé.

Elle détourna le regard, visiblement mal à l'aise.

— Ce n'est pas ce que vous croyez.

Je croisai les bras, attendant qu'elle continue. Mais elle ne dit rien, se contentant de le regarder comme si elle cherchait à lire quelque chose en moi.

— Tu ne devrais pas être ici, finis-je par dire, mon ton plus froid.

— Vous non plus, répliqua-t-elle avec un élan inattendu.

Je sentis une pointe de colère monter en moi. Je m'avançai d'un pas, réduisant l'espace entre nous.

— Tu ne sais rien de moi, Anaïs. Rien.

Elle soutint mon regard, malgré la peur que je lisais dans ses yeux.

— Peut-être. Mais je sais reconnaître quelqu'un qui essaie de fuir.

Ses mots me frappèrent comme un coup de poing. Je restai immobile, la pluie coulant sur mon visage.

— Va-t'en, murmurai-je finalement, la voix brisée.

Anaïs hésita, mais finit par reculer. Avant de disparaître dans la nuit, elle lança une dernière phrase :

— Vous n'êtes pas le seul à être perdu.

Lorsqu'elle fut partie, je restai là, immobile, les poings serrés. Une colère sourde bouillonnait en moi, mais ce n'était pas contre elle.

C'était contre moi-même.

Entre l'Ombre et le FeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant