CHAPITRE XIII

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   Depuis cette première expédition, je m’aventure régulièrement hors de la maison pour faire les courses. Ce qui est pratique lors de cette ambiance apocalyptique, c’est qu’il n’y a ni de caissier ni trop de gens. Il y en a seulement moins. Néanmoins, l'inconvénient, ce sont les stockages. Jusqu’ici, je ne suis jamais allé plus loin que les premiers magasins du coin. A mesure de s’y aventurer, je vois bien qu’il ne reste plus grand chose. Plus qu’un magasin et on devra aller s’infiltrer plus loin dans la ville. Les récoltes ne suffisent pas. Depuis la première pousse, le reste a suivi. Sans ce cahier de note au sujet du jardinage, jamais on aurait pu réussir. 

    De ses deux petites jambes, Opale vient à moi.
— On peut cueillir les tomates maintenant ? Elles sont bien rouges comme sur le cahier ! s’exclame-t-elle en prenant ma main.

    Un soupir s’extirpe de mes lèvres mais je la suis. Ça prouve bien mon manque d'autorité. Je pourrais me faire dominer par plus petit que moi, je ne bronchrais pas. Probablement pas. J’en doute. Je me laisse bien trop attendrir sans rien rétorquer même si parfois, certains comportements m'agacent. Comme les enfants qui n'obéissent pas. Ça peut sembler bête mais les parents ou les frères et sœurs me comprennent sûrement.

    Dehors, on s'accroupit toutes les deux et on observe les tomates bien rouges qui brillent au soleil. Ça me donne faim. Un mois. Un mois ou je n’ai pas mangé de tomate, excepté en conserve mais c’est moins bon. Je crois que jamais j’aurai cru me dire un jour que les légumes me manquent. Les frites aussi et d'autres bonnes choses dont je raffole.

    Après notre contemplation, on n'hésite plus. Nos deux mains arrachent avec soins ces fruits enchaînés à leur tige verte. Peu de temps après, Alexei est de retour. Il gravit la petite montée, des rougeurs sur le visage, sa peau brillante comme Edward Cullen. Il ne tarde pas non plus à nous voir. Tandis qu’Opale cueille avec le sourire, mes iris et ceux du militaire se croisent et ne se lâchent qu’au moment où il vient vers moi. Debout sur ses deux grandes jambes, me surpassant de quelques mètres, il s’impose et mon cou se tord vers l'arrière comme si rompre ce contact visuel était impossible. C’est la fillette qui nous interrompt lorsqu’elle remarque le blond près de nous.

   Elle sautille en incitant Alexei tout en faisant plein de gestes qui me sont impossibles à comprendre mais je pense y déceler le sens derrière sa joie. Alexei pose alors le sac contre le mur puis s’accroupit avec nous après avoir enlevé sa veste.

   Je me sens toute drôle en sa présence. Je sais que ce n’est pas normal. Même dans les films apocalyptiques on ne montre pas une fille niaise et gene en la presence d’un homme. Du coin de l'œil, il cueille les fruits avec tendresse. Avec ses mains puissantes ou on voit une veine qui dépasse, comme un ver qui sort de la peau avec élégance et séduction. Ses traits du visage sont marqués par l’effort. Surtout qu’il vient de revenir d'expédition mais il retourne à la tâche pour faire notre première cueillette. Notre toute première. Ça fait un peu bizarre. C'est comme la renaissance depuis le drame du mois dernier. Les graines poussent, les fruits et les légumes naissent comme une seconde vie. J’ignore ce qui me rend aussi philosophe, mais j’y vois une certaine paix, sérénité, grâce à ce qui pousse hors de la terre.
L’aube fait son apparition dans le ciel avec sa lueur orange, avec un petit dégradé rouge assez discret, cette couleur qui habille les nuages  tracés en ligne irrégulière. Je me laisse captive de ce joli tableau. Malgré toute les choses atroces que l’humain peut faire, c’est la nature et le ciel qui conservent toute sa beauté dans une fine poésie des plus enivrantes. 

    Dans le paysage, plus bas que le ciel, là où l’on voit l’horizon avec les arbres lointains et les routes ainsi que les immeubles qui dorment ; Alexei, dos a moi, creusant dans la terre avec des lignes bien droites puis il installe des bâtons à distances égales. Je n’ai pas besoin de demander ce qu’il fait. C’est évident qu’il prépare le lit des prochaines plantations. 

   À petit pas, sans pour autant être louche, je m’approche de lui. Et peu à peu je distingue ses muscles saillants ; ceux de ses bras se dévoilent grâce à son marcel. Puis il y a la forme de ses dorsaux qui se révèlent à travers sur certains mouvements qu’il enchaîne.
Mes poumons sont figés dans mon corps, ils cessent de récolter l’air et mes membres ne fonctionnent plus, mais le regarder me suffit. Cela fait maintenant un mois que je le côtoie et j’ai remarqué qu’il est sans cesse vigilant, au moindre bruissement ou bien les mouvements suspects. Il a toujours cette manie de sursauter d’ailleurs. 
 
    Tandis que je l’observe encore, que mon regard atterrit sur son visage, j'aperçois une barbe naissante. Avant, j'aurais trouvé ça moche. Ce n'était pas mon genre et ça ne l’est toujours pas aujourd’hui mais, sur lui, j'éprouve une certaine attirance qui ne me laisse pas de marbre. Bien que ce ne soit pas le moment pour jouer les romantiques. Malgré mes dix-huit ans, je baigne encore dans jeunesse plutôt que d’entrer dans l'âge adulte ; la vieillesse, comme je le surnomme. Ce moment où l'on est obligé d'être mature car l’on est adulte désormais et que c'est comme une honte d'être encore une gamine dans sa tête. Je crois que j'aime les bonheurs simples. Tout comme les grands, bien sûr. Mais même si mes petits bonheurs simples sonnent immatures, je m’en moque. Je n’ai qu’une vie et j’y tiens a mon petit goute, rire sur des blagues de merde qui ne font rire que moi, jouer sur les plaques d’egout instable ou bien trainer sur mon lit comme une larve.
 
    Soudain, mon regard croise le sien lorsqu’il se retourne face à mon corps de statue. Je me fond comme dans son âme, à travers ses pupilles d’un bleu obscure et clair que je ne peux pas lâcher.
Dans un certain sens, je crois que je prends en maturité petit à petit. J’accepte sa barbe, j'apprends à y voir de la beauté. Je suis plus attentive à ses gestes, son comportement et je m'empêche d’avoir un jugement trop rapide comme au premier jour. Néanmoins, la seule chose pour laquelle je ne garantis pas une maturité absolue ; c’est mon attirance envers lui.

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