Elena montait précautionneusement le vieil escalier de bois, en s'appliquant à ne pas le faire grincer. Encore quelques marches. Voilà !
Elle poussa la porte du grenier, se baissa pour passer sous le linteau, enjamba des poutres et des pièces de charpente, puis contourna des coffres et des cartons empilés. Ceux-ci remplissaient l'espace sous la toiture et ponctuaient son parcours d'obstacles à éviter pour ne pas se faire repérer. Cependant, Elena avait pris soin de s'aménager un chemin jusqu'à son coin préféré, particulièrement discret grâce aux empilements de cartons qui lui assuraient d'être à l'abri d'un regard rapide depuis la porte. Depuis deux ans, l'adolescente s'était faufilée suffisamment souvent dans sa cachette pour pouvoir désormais s'y rendre même dans l'obscurité !
Son refuge était à peine éclairé par une petite lucarne encastrée dans le toit et même en plein été, la lumière du jour y pénétrait difficilement. Mais cela n'avait aucune importance pour ce que la jeune fille venait faire. Elle s'allongea sur le sol poussiéreux et colla un œil contre une fente, entre les planches grossières du grenier et l'énorme madrier mal équarri qui servait de poutre centrale. La fente ne permettait pas d'observer plus d'un tiers du bureau, mais elle était bien suffisante pour surprendre ce qui s'y passait. Elena sourit en examinant la pièce :
« Bien ! Oncle Jean n'est pas encore là, je suis plus rapide que lui ! A tous les coups il est parti vérifier que je ne traîne pas dans les parages. »
Elena s'installa confortablement, couchée en chien de fusil, l'oreille collée sur la fente indiscernable de l'étage inférieur. Ce n'était pas la première fois qu'elle usait de ce stratagème pour écouter en douce les discussions de son oncle et de sa grand-mère. Tous deux avaient l'habitude de se réunir et de travailler dans le donjon où Élisabeth avait aménagé ses appartements mais aussi son bureau, strictement interdit à sa petite fille.
« Cette fois cela doit être vraiment important », estima Elena.
Tout en gardant une oreille attentive aux sons provenant du bureau, elle considéra les faits qui l'avaient poussée à filer vers son poste d'observation. La première raison, bien sûr, était l'insistance de sa grand-mère lorsqu'elle avait appelé son frère : le ton calme presque indifférent qu'elle avait employé avait hurlé comme un signal d'alarme pour Elena qui la connaissait bien. Et puis, l'heure choisie : the tea time ! Le moment le plus sacré de la journée où Élisabeth se cloîtrait dans son salon et exigeait de ne pas être dérangée. Enfin la réaction de son oncle était une raison supplémentaire s'il en était besoin : contrairement à son habitude il n'avait posé aucune question et s'était contenté d'un rapide signe de tête, preuve qu'il savait très bien ce qui se tramait. Eh bien, cette fois, Elena refusait d'être mise à l'écart, elle comptait bien surprendre la conversation des adultes.
« Après tout c'est leur faute. Toujours des cachotteries et des secrets ! Il faut bien que je me tienne au courant, ils ne me disent jamais rien ! »
Elle tressaillit en entendant des pas dans l'escalier, son oncle montait rejoindre sa grand-mère.
*
Élisabeth laissa son regard errer sur la pièce, située au dernier étage de la tour carrée que sa petite fille appelait « le donjon ». Cette vaste pièce était devenue son refuge depuis plus de trente-deux ans, depuis son retour. La vieille dame en aimait l'atmosphère sereine et la décoration chaleureuse, où les tons ocre et blancs des épais tapis aux motifs géométriques se mariaient harmonieusement avec le bois sombre des poutres et des meubles. Cette douceur, peut-être un peu trop neutre, était rehaussée par les pointes d'or et les orangés flamboyants des lampes, des coussins et des rideaux, qui rappelaient discrètement aux rares visiteurs le caractère parfois volcanique de la maîtresse des lieux.
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Elia Lune-Miroir : Les landes perdues
FantasySur la terre d'Arendhil, les elfes, peuple ancien mais arrogant, se sont entre-déchirés lors d'une terrible guerre. Les adeptes du feu et ceux de l'air s'étaient alors ligués contre ceux de la terre et de l'eau dans un affrontement sanglant qui n'a...