Entre Deux Feux

21.

Pdv Clémence

Cela faisait une semaine depuis que j’avais quitté l’hôpital, et pourtant, chaque jour semblait durer une éternité. Le regard de Milia, toujours aussi étrange et distant, me hantait. Lors de mes cours, elle ne cessait de me fixer, mais il y avait cette absence dans ses yeux, comme si elle ne me reconnaissait pas vraiment. Parfois, je pensais voir une lueur de confusion, mais chaque fois qu’elle s’approchait, elle lançait une provocation, comme si rien n’avait changé. Ses petites piques me frôlaient, me faisaient sursauter, mais je ne savais pas si c’était juste une façade qu’elle continuait à entretenir pour moi, ou si réellement elle m’avait oubliée.

Je n’arrivais plus à lire dans son regard, et cela m’angoissait. Le visage de Milia n’était plus un champ de bataille où je savais exactement où et quand réagir, c’était devenu un puzzle avec des pièces manquantes, et chaque mot qu’elle prononçait était une nouvelle pièce qui se dérobait. Mais je devais tenir. C'était mon rôle. Elle avait besoin de moi. Et je l'aimais toujours, malgré tout.

Pdv Juline

Les jours passaient, et je voyais Clémence se briser un peu plus chaque jour. Elle était fatiguée, épuisée, mais elle cachait sa douleur derrière un masque de détermination. Au travail, elle était toujours aussi exigeante, mais une tristesse persistante, presque invisible, l’envahissait. Elle était constamment sur le qui-vive, surveillant chaque geste de Milia, comme si elle attendait le moindre changement, le moindre signe de réciprocité.

Pendant les entraînements, surtout à l’approche du match important, c’était pareil. Clémence poussait les filles avec une rigueur presque excessive, ses directives étaient plus strictes, comme si elle cherchait à exorciser ses propres doutes et peurs à travers le sport. Les filles suivaient, mais il y avait quelque chose de tendu dans l’air. Clémence n’était plus vraiment là, elle était dans une sorte de torpeur. Quant à Milia, ses provocations restaient intactes. Elle semblait ne rien changer dans son attitude, bien qu’à chaque instant, je voyais un voile de mélancolie passer dans son regard.

Je savais que Clémence était dans un combat intérieur qu'elle ne voulait pas partager. Elle était forte, mais parfois, elle se laissait submerger. Et je savais que l’enjeu du match n’était pas qu’une simple victoire. Pour elle, c’était bien plus. C'était une manière de s’accrocher à la réalité, une manière de garder le contrôle sur tout ce qui semblait lui échapper.

Pdv Emma

J’étais partagée, entre Milia et Clémence. D’un côté, je voyais Milia se reconstruire, petit à petit, mais je ressentais la distance qui se creusait entre elle et Clémence. Elle n’avait pas complètement retrouvé ses repères, et même si elle suivait ses entraînements et ses séances de rééducation, il y avait toujours ce vide, cette brume qui restait autour de ses souvenirs. Elle parlait de ses progrès avec un enthousiasme sincère, mais parfois, quand elle mentionnait le prénom de Paloma, c’était comme si son esprit ne pouvait pas se résoudre à en parler. Elle hésitait, son regard se perdait dans l’inconnu.

Clémence, de son côté, faisait des efforts pour ne pas laisser transparaître sa frustration, mais je voyais bien que ses yeux trahissaient son inquiétude. Elle était dévastée, et je me sentais impuissante. Je voulais que Milia se souvienne, mais j'avais aussi peur qu'elle le fasse. Peur de ce que cela pourrait provoquer. Peur que tout s’effondre.

J'avais l'impression de vivre un entre-deux, de naviguer dans un espace flou où ni l’une ni l’autre ne me disait tout. Il y avait un malaise, une tension constante, et je ne savais plus comment les aider toutes les deux.

Pdv Milia

Cette semaine a été étrange. Le flou persiste encore, mais je sens que les choses commencent à se dessiner. J’ai eu mes séances de rééducation, les séances avec David, le psychologue, qui m’a aidée à comprendre certains fragments de mon passé. Au début, je n’étais pas sûre de ce que je ressentais à propos de ces séances, mais elles m’ont permis de mettre un mot sur ce que je ressentais. Les souvenirs remontaient progressivement, bien que de façon chaotique. Je commençais à comprendre des choses que je ne comprenais pas auparavant. Mais il y a toujours ce vide. Ce vide entre moi et Clémence.

Je parle de mes cours, de mes entraînements, de mes progrès avec Emma, mais je ne peux pas m’empêcher de ressentir cette absence quand il s'agit de ma prof, de celle qui a traversé mon esprit tant de fois. Le nom de Clémence est flou, il me semble l’avoir un peu oublié, tout comme les détails de ses traits, de sa voix. Parfois, je me sens complètement coupée d’elle. Et pourtant, son regard… Il y a quelque chose dans ses yeux qui me semble à la fois familier et si lointain.

Quant à Paloma… C’est comme un nuage dans mon esprit. Un prénom que je devine, mais je n’arrive pas à lui donner une forme, une figure. Ce prénom m’échappe, tout comme tout le reste. Pourquoi est-ce que je suis incapable de mettre des mots sur ce souvenir ? Pourquoi Paloma me semble à la fois si proche et si lointaine ?

Mais ce matin… Ce matin, tout a changé. En me réveillant en sursaut, je me suis souvenue. Tout s’est précisé dans mon esprit, comme une image qui se dessine peu à peu. J’ai ressenti un choc, une onde de panique, mais aussi une immense libération. J'ai vu son visage. Celui de Clémence. Je savais maintenant que c'était elle. Que c'était elle, la clé de tout cela.

Je me suis précipitée pour appeler Emma, mais je n’ai pas tout dit. Je ne pouvais pas encore le dire. Pas maintenant. Pas tant que je n’étais pas prête à tout comprendre.

Regardant l’heure, j'ai vu qu'il était 7h00. Un autre samedi. Il y avait un match cet après-midi. Il fallait que je sois prête. Je me suis levée, me suis habillée en tenue pour courir. J'avais besoin de m’éloigner, de me vider l’esprit avant que tout ne devienne trop lourd à porter.

J'ai quitté la chambre, filé dans les rues du campus, courant à perdre haleine. Ce que je n’avais pas dit à Emma, ni à personne, c'était que je me souvenais enfin. Et ce souvenir allait tout changer.

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À suivre....