La petite fille... Anna est toujours là, derrière son oculus, mais le garçon... Tom est là aussi, cherchant à la consoler. Ensemble, ils observent les gens arriver, les yeux emplis de larmes... puis les jours s'étirent, lents, inaltérés.
Tom repart chez lui avec ses parents, et le bivouac improvisé dans le salon se disperse. Tout semble reprendre son ordre naturel. Pas encore de sirènes dans le ciel, pas encore de menace imminente. Le monde est comme avant, suspendu dans une réalité parallèle. Les visages sont sains, les mines éclairées.
Les parents d'Anna sont là, ils semblent vivre normalement, comme si rien n'était encore advenu. Ils passent la soirée avec les parents de Tom, leurs nouveaux voisins.
Finalement, la soirée s'achève comme elle a commencé. Les invités repartent en arrivant, emportant le bouquet de fleurs et le gâteau à la crème. Le père d'Anna emporte en remettant les bouteilles de vin à la cave, tandis que sa mère débarrasse la table en la dressant avec calme et routine en arrière, en avant.
À la télé, des chansons et des rires résonnent encore. Dehors, le ciel bleu se teinte déjà de rouge, annonçant le soir.
Les enfants regardent leur film en arrière, une orangeade à la main, leur verre se remplissant doucement à mesure qu'ils sirotent... en secret sous un coussin, ils viennent de se donner la main.
On se parle, on sourit, on poursuit le cours de la vie. L'insouciance... en arrière, la vie en arrière. Puis les enfants quittent le canapé et redescendent de la chambre où ils avaient joué toute l'après-midi, la biche les suit maladroitement dans les escaliers... les marches ne sont pas faites pour les créatures sabotées.
***
Dans la chambre, on s'amuse sous la tente bricolée, on vient tout juste de se donner un premier bisou en toute innocence. Ainsi vont les petites découvertes de l'enfance, l'affection est tendre et sans arrière-pensées.
La biche se rapproche d'eux comme pour profiter de ce câlin nez à nez... Mais avant qu'elle ne les touche, la scène s'évapore... comme si le passé ne passait plus.
Le temps a repris son cours, il laisse désormais la place au présent... absolu, inévitable, inéluctable. La biche est là, devant le lit où deux corps décharnés sont allongés, serrés l'un contre l'autre... dans un sommeil éternel... La petite porte toujours la barrette en papillon dans ses cheveux.
Leurs visages, tout autant que leurs vêtements, sont méconnaissables, tout comme cet autre dessin, posé sur la table de nuit : Tom, Anna et ce cœur qui les entoure. Deux gobelets de couleur verte reposent également près de la feuille...
La biche semble verser une larme. Si tant est qu'une biche soit à même de pleurer, quand la tristesse envahit son âme.
Elle pose délicatement la poupée de chiffon qu'elle gardait dans sa gueule près du cœur d'Anna et tire la couverture sur les enfants ; une façon de prendre soin d'eux.
***
"Puis, en avançant dans la pièce, elle découvre les corps des parents de la fillette, qui se tiennent, eux aussi, par la main. Assis au pied du lit, tenant dans leurs bras la photo de celle qui fut leur raison de vivre.
À leurs pieds, une boîte de pilules renversée, et ces gobelets verts qui traînent sur le sol... La vie et la souffrance se sont envolées dans cette ultime gorgée.
Le chat décharné repose paisiblement, au seuil de la chambre, gardien silencieux de ce tombeau impromptu.
La mélodie reprend de plus belle, rompant la monotonie des lieux. Ce tintement résonne comme s'il venait d'à côté. Suivant ces notes la biche redescend l'escalier.
Dans le salon, elle remarque deux autres corps enlacés sur le canapé. Ce sont les parents de Tom. Eux aussi ont choisi la moindre souffrance.
Pourquoi étaient-ils tous venus se réfugier dans cette maison ?
Laissant là son deuil et ses interrogations, la biche quitte la maison par la porte du jardin. Elle s'en va et laisse cette famille en paix.Poursuivant ce son qui ne cesse de l'appeler, devenant de plus en plus envoûtant à mesure qu'elle s'en approche. Les notes se font plus distinctes ; do - ré - fa - mi - sol, résonnent régulièrement dans un concerto d'accords aléatoires."**
***
"Dans le jardin, au milieu des fleurs sauvages, un grand chêne se dresse. La balançoire, fixée à ses branches, pendule au gré du vent.
Voilà notre biche, à nouveau prise dans ce rêve. Elle replonge dans ce passé qui reprend de plus belle, comme dans la cour d'école. Des rires fusent de la maison, les enfants courent dans les couloirs, sortent dans le jardin, tournent autour d'elle et l'entraînent dans leur ronde.
Ce sont tous les enfants qui ont un jour vécu entre ces murs qui reviennent saluer l'endroit.
Les ombres fantomatiques d'Anna et Tom interagissent avec les jeux éparpillés sur l'herbe, laissés là, oubliés.
On se balance, on s'arrose au jet, on joue à chat perché... mais ils vont trop vite pour que la bichette puisse participer. Cela lui rappelle vaguement qu'elle aussi, un jour, s'est amusée avec ces objets.
Mais l'un d'eux, en particulier, attire son regard... Au pied du chêne, un instrument repose. Il est fait de fines lattes de métal, assemblées sur un cardan, résonnant comme les notes d'un piano.
L'herbe n'a pas poussé au travers, laissant penser qu'elle aurait voulu respecter son caractère sacré.
La biche s'approche de cet objet reconnaissable à ses couleurs et aux sons qu'il émet. C'est un xylophone ! Les gouttes d'eau qui s'écoulent en douceur des feuilles du grand chêne produisent une mélodie douce sur ses lames métalliques.
Cette musique qui a emporté la biche dans un voyage improbable à travers le temps et les ruines du passé, l'entraînant jusqu'ici, à cet instant précis."
Comme si cet instrument se sentant abandonné avait trouvé un compromis en se laissant jouer par la pluie...
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GA - Un xylophone sous la pluie - ◔25mn
Science FictionDans la série ; (Les) Uchronie(s) éphémère(s)© 2019 - Tout droits réservés - un xylophone sous la pluie ©2024 - par Gaël Amar avec Al DeLeerey. Temps de lecture - ◔ ~ 5000 mots - 25mn Fantasy poétique : Drame psychologique : Fable ésotérique : Pos...