Les jours s'écoulaient, mais les mots de Mirembe restaient gravés dans l'esprit d'Aaric. Chaque matin, il se rendait au marché, espérant la croiser à nouveau, mais elle était souvent occupée, soit à vendre ses produits, soit à discuter avec les autres commerçants. Cependant, il commença à remarquer les petites choses qui lui échappaient au début. Le travail acharné des marchands, le regard des mères qui se frayaient un chemin dans la foule, les gestes des enfants qui jouaient dans les ruelles étroites près des étals. Petit à petit, il se rendait compte que ce qu'il pensait être de simples scènes de la vie quotidienne était en réalité un ballet complexe de survie, d'amour, et de persévérance. Un tout autre monde s'offrait à lui.
Mais ce n'était pas assez. Il avait beau observer, il ne comprenait pas encore complètement. Il devait faire plus que regarder. Il fallait qu'il ressente, qu'il vive cette réalité de l'intérieur.
Un après-midi, alors qu'il arpentait les rues poussiéreuses près du marché, il aperçut un groupe de jeunes hommes assis autour d'un petit stand de jeux de société. Il y avait là un univers qu'il n'avait jamais exploré. Pas d'argent, pas de pouvoirs, juste des vies qui se croisaient dans l'intimité de la rue. Les jeunes riaient, plaisantaient et échangeaient, mais une atmosphère d'urgence et de compétition régnait autour d'eux. C'était comme si, au-delà de l'amusement, chaque partie était une lutte pour quelque chose de plus grand : la reconnaissance, la fierté, ou tout simplement un moment de répit dans une vie faite de défis quotidiens.
Curieux, Aaric s'approcha du groupe et les observa pendant quelques instants. Ils jouaient à un jeu de dés, chacun misant de petites pièces de monnaie ou des objets personnels. L'un des garçons, plus jeune que les autres, remarqua Aaric.
— Tu veux jouer ? lui demanda-t-il, les yeux pétillants de défi.
Aaric hésita. Il n'était pas habitué à ce genre de jeu, pas dans ce contexte. Mais une part de lui, une partie plus profonde, se disait que c'était une occasion de plonger plus profondément dans cette réalité qu'il cherchait à comprendre. Alors, il répondit.
— Pourquoi pas, je veux voir comment ça se passe.
Les autres le regardèrent un instant, surprise par sa réponse. Mais voyant la sincérité dans son regard, l'un des plus âgés, un homme d'une trentaine d'années au visage buriné par le soleil, hocha la tête.
— D'accord. Si tu veux apprendre, tu peux rejoindre. Mais attention, ici on ne rigole pas. Tu perds, tu perds, c'est tout.
Aaric prit place à la table, et en quelques minutes, il était plongé dans l'intensité de la partie. Au début, il se sentit maladroit, les règles lui échappaient, et il avait du mal à comprendre le rythme effréné du jeu. Mais petit à petit, il se laissa emporter par l'atmosphère qui régnait autour de lui. Le bruit des dés qui roulaient, les éclats de rire des jeunes, les petites taquineries qui fusèrent, tout cela lui permettait de sentir la tension, la camaraderie, et même l'adrénaline du jeu. Mais plus que tout, il ressentait la détermination de ces jeunes, leur volonté de s'en sortir, de trouver un sens à leur existence à travers des petites victoires, des petits moments d'évasion.
Quand ce fut son tour, il jeta les dés avec hésitation. Les jeunes autour de lui le regardaient attentivement. Le jeu était plus qu'une distraction, il représentait un microcosme des luttes de la vie, des décisions que l'on prend, des risques que l'on ose, des pertes que l'on accepte.
Après plusieurs tours, Aaric commença à comprendre la dynamique. Ce n'était pas juste un jeu de hasard. C'était une question de lecture des autres, d'anticipation, de calcul des risques. Et d'une certaine manière, ce jeu ressemblait à la vie elle-même : imprévisible, mais marquée par des choix, des stratégies, et des compromis.
Au fur et à mesure que la partie avançait, Aaric s'impliquait de plus en plus. Il se sentait à la fois étranger et étrangement connecté à ce monde. Les éclats de rire des garçons, leurs moqueries légères, leur rivalité pleine de respect, tout cela le rendait vivant. Il vivait le présent, chaque lancer de dé, chaque échange, comme une vraie expérience.
Mais soudain, un cri perça la tension du jeu. Un des garçons, un adolescent mince et nerveux, venait de perdre. Il avait misé une montre qu'il portait depuis son enfance, une montre qui semblait avoir une valeur sentimentale immense. Le garçon se leva, furieux, et frappa du poing sur la table. L'atmosphère changea instantanément.
— C'est de la triche ! hurla-t-il. Vous m'avez eu !
Les autres se mirent à discuter, mais Aaric remarqua quelque chose d'étrange. Le garçon qui avait perdu ne semblait pas en colère contre les autres, mais contre lui-même. C'était une colère intérieure, un désir de s'en sortir, d'échapper à ce destin cruel qui semblait se jouer sur la table.
Un autre garçon, plus âgé, posa la main sur son épaule.
— C'est juste un jeu, mec, t'as rien perdu de plus que ce que tu as mis. Ne fais pas une scène. On te l'a dit depuis le début.
Le jeune homme se laissa tomber sur le sol, son regard perdu. Il semblait avoir perdu bien plus que sa montre. Il avait perdu une part de lui-même, une part de son identité. Aaric comprit alors que pour ces jeunes, ces jeux, ces paris, ce n'étaient pas seulement des divertissements. C'était leur quotidien. Ils ne pouvaient se permettre de perdre, parce que perdre signifiait tout perdre. Cela signifiait tomber plus bas encore, sombrer dans une vie qu'ils ne choisissaient pas, mais qui semblait les engloutir sans fin.
Quand la partie se termina, Aaric se leva lentement, son esprit tourbillonnant. Il avait vu quelque chose qu'il n'avait jamais perçu avant. La dureté de la vie de ces jeunes, leur lutte pour quelque chose de plus grand, même si cela ne semblait jamais suffire. La vie ici n'était pas un simple jeu de dés. Elle était marquée par des décisions lourdes de conséquences. Il se demandait combien de fois ces jeunes devaient se battre pour quelque chose de réel, quelque chose qui leur donne un sens.
En quittant le groupe, un sentiment d'humilité envahit Aaric. Il avait commencé à comprendre. Comprendre que la vie, pour ceux qui n'ont pas le luxe de choisir, n'était pas un simple chemin pavé. C'était une route sinueuse, pleine de obstacles, mais aussi d'opportunités – des opportunités qu'on devait savoir saisir.
Ce jour-là, quelque chose changea profondément en lui. Aaric ne voulait plus simplement observer. Il voulait vivre, vraiment. Mais pour cela, il devait d'abord affronter ses propres illusions et comprendre ce qui se cachait derrière chaque sourire, chaque geste, chaque perte dans ce monde qu'il commençait tout juste à effleurer .
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La raison
CasualeL'histoire suit un jeune homme né dans l'abondance, qui a toujours eu tout ce qu'il désirait sans jamais se soucier des autres. Mais un jour, après une rencontre marquante avec une femme qui vend son corps pour survivre, il se rend compte de la supe...