Chapitre 8 : Les Ombres de la Ville

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Après sa rencontre avec Mirembe et les habitants de la cour, Aaric ne put s'empêcher de retourner au marché plusieurs jours d'affilée. Il sentait que chaque visite lui apportait une nouvelle leçon, un morceau supplémentaire d'un puzzle complexe. Mais ce jour-là, lorsqu'il arriva, l'atmosphère semblait différente, plus tendue. Les rires qui d'habitude emplissaient les allées du marché avaient laissé place à un silence nerveux, brisé par des chuchotements et des regards méfiants.

Aaric retrouva Mirembe près de son étal. Elle rangeait des fruits avec des gestes rapides, évitant de croiser son regard.

— Mirembe, tout va bien ? demanda-t-il, troublé par son comportement.

Elle releva à peine les yeux.

— Ce n'est rien, murmura-t-elle. Ne t'en mêle pas.

Ces mots, bien que vagues, éveillèrent la curiosité d'Aaric. Quelque chose n'allait pas. Il regarda autour de lui et remarqua deux hommes en costume sombre, debout près d'une camionnette, qui surveillaient le marché. Leur simple présence semblait suffire à intimider les vendeurs.

— Qui sont-ils ? chuchota Aaric.

Mirembe jeta un rapide coup d'œil vers eux, puis se pencha pour murmurer :

— Ce sont des collecteurs. Ils viennent prendre leur part.

— Leur part ?

— Oui, la part qu'ils imposent à tout le monde ici pour avoir le droit de vendre. Si quelqu'un refuse ou ne peut pas payer, ils confisquent la marchandise... ou pire.

Aaric sentit un mélange de colère et d'indignation monter en lui. Comment pouvait-on tolérer une telle injustice ? Il observa les vendeurs, certains tendant des enveloppes aux collecteurs avec des gestes tremblants, d'autres détournant le regard, impuissants.

— C'est absurde, lâcha-t-il. Personne ne devrait vivre sous ce genre de pression.

Mirembe posa une main sur son bras, son regard durci.

— Ne fais pas l'erreur de croire que tu peux changer les choses juste parce que tu es outré. Ici, on apprend à survivre, pas à se battre contre des moulins à vent.

Mais Aaric ne pouvait se résoudre à rester passif. Cette réalité brutale contrastait violemment avec la vie d'opulence qu'il avait menée. Il se sentait à la fois impuissant et révolté.

Ce soir-là, Aaric se retrouva dans sa grande maison vide. Le luxe qui l'entourait lui paraissait soudain ridicule, presque grotesque. Pourquoi avait-il besoin de tant d'espace, de tant d'objets inutiles, alors que d'autres se battaient pour simplement exister ? La colère qu'il avait ressentie au marché ne le quittait pas. Il devait faire quelque chose, mais quoi ?

Il se souvenait des mots de Mirembe : "Ici, on apprend à survivre, pas à se battre." Pourtant, il savait qu'il ne pourrait plus regarder ces gens dans les yeux s'il continuait à ignorer leur souffrance.

Il passa la nuit à réfléchir, et une idée germa dans son esprit. Il n'avait peut-être pas les réponses, mais il avait des ressources. Il devait trouver un moyen de les utiliser pour faire une différence.

Le lendemain, Aaric retourna au marché avec une nouvelle détermination. Il retrouva Mirembe à son étal, toujours occupée à organiser ses fruits. Elle leva les yeux vers lui, surprise par son expression résolue.

— Tu as l'air d'avoir pris une décision, dit-elle en croisant les bras.

— Oui, répondit-il. Mais j'aurai besoin de ton aide.

Elle haussa un sourcil, méfiante.

— Mon aide ? Pourquoi est-ce que je t'aiderais ?

— Parce que tu veux ce qui est mieux pour ces gens, tout comme moi. Je sais que je ne comprends pas encore tout, mais je veux apprendre, et je veux agir. Tu es la seule personne ici qui semble avoir la confiance des autres.

Mirembe le fixa longuement, comme si elle essayait de déceler s'il était sincère. Finalement, elle soupira.

— Très bien. Je t'écoute.

Aaric expliqua son plan. Il voulait créer un réseau de soutien pour les vendeurs du marché, quelque chose qui leur permettrait de résister aux collecteurs. Cela impliquait d'organiser des réunions, de collecter des fonds, et surtout, de trouver des moyens pour que les vendeurs puissent travailler sans avoir à craindre les représailles.

— C'est noble comme idée, admit Mirembe, mais c'est risqué. Ces hommes ne reculeront devant rien pour maintenir leur contrôle.

— Je suis prêt à prendre ce risque, affirma Aaric. Mais je ne peux pas le faire seul.

Mirembe resta silencieuse un moment, puis hocha lentement la tête.

— D'accord. Mais si on fait ça, on le fait correctement. Tu dois comprendre que ce n'est pas seulement une question d'argent. Ces gens ont besoin de sentir qu'ils ne sont pas seuls. Tu devras gagner leur confiance.

Les semaines suivantes furent un véritable défi pour Aaric. Il passa de longues heures au marché, parlant aux vendeurs, écoutant leurs histoires, et essayant de les convaincre de se réunir. Certains étaient sceptiques, d'autres carrément hostiles, mais petit à petit, il réussit à rallier quelques personnes à sa cause.

Mirembe était toujours à ses côtés, jouant un rôle clé en apaisant les tensions et en encourageant les plus réticents. Elle semblait avoir un talent naturel pour rassembler les gens, une qualité qu'Aaric admirait profondément.

Un soir, après une longue journée de travail, ils s'assirent ensemble sur une caisse en bois, regardant le marché se vider lentement.

— Tu es différent de ce que je pensais, dit Mirembe. Quand je t'ai vu pour la première fois, je t'ai pris pour un fils à papa qui jouait au héros. Mais tu es... authentique.

Aaric sourit, touché par ses mots.

— Et toi, tu es bien plus forte que tu ne le montres. Je ne sais pas si j'aurais tenu aussi longtemps sans ton aide.

Ils échangèrent un regard, une compréhension mutuelle naissant entre eux. Pour la première fois, Aaric sentit qu'il avait trouvé quelqu'un qui comprenait vraiment ce qu'il essayait d'accomplir. Et pour Mirembe, il était clair qu'Aaric était bien plus qu'un simple spectateur curieux.

Mais alors qu'ils parlaient, un homme apparut à l'entrée du marché. C'était l'un des collecteurs, et son visage ne laissait présager rien de bon.

— Tu joues à un jeu dangereux, lança-t-il à Aaric d'un ton glacial.

Le sang d'Aaric se glaça, mais il resta immobile, soutenant le regard de l'homme. Il savait que ce moment viendrait, mais il n'était pas prêt à reculer. Pas maintenant. Pas après tout ce qu'il avait vu et appris.

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