Chapitre 11

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La chambre d'Adam était sombre, éclairée uniquement par la lumière froide de son écran d'ordinateur. Les volets étaient fermés, comme pour isoler encore plus ce monde intérieur qu'il semblait protéger farouchement.

Cela faisait des années qu'il vivait seul, bien qu'il n'ait que 21 ans. Sa mère, la personne qui avait tout sacrifié pour lui, était partie deux ans plus tôt, emportée par une maladie foudroyante. Quant à son beau-père, l'homme qui avait été une figure paternelle temporaire, il s'était éloigné, quittant Istanbul pour refaire sa vie ailleurs. Adam n'en voulait pas vraiment à cet homme : après tout, il n'avait aucun lien de sang avec lui.

Son véritable père, lui, était une toute autre histoire. Dès que sa mère lui avait annoncé qu'elle attendait un enfant, il avait disparu sans laisser de traces, s'évanouissant dans la nature comme un lâche. Adam ne l'avait jamais connu, et il préférait que cela reste ainsi. Cette absence, toutefois, pesait sur lui, même s'il ne l'admettait jamais.

Sa solitude, il la comblait avec ses études. C'était sa seule échappatoire, sa seule certitude dans un monde qui lui semblait souvent bancal. Se plonger dans les chiffres, les schémas, et les projets complexes d'ingénierie lui donnait un sens, une stabilité que rien ni personne d'autre ne semblait capable de lui offrir.

Alors qu'il griffonnait quelques équations dans un carnet, un léger vrombissement le tira de ses pensées. Son téléphone, posé près de lui, clignotait. Un message d'Arda.

Il soupira, hésitant à répondre. Arda n'avait jamais été un ami proche, mais il le supportait parce qu'il faisait partie de son groupe de travail en cours. Il déverrouilla l'écran et lut rapidement le message.

"Frère, tu viens à la cérémonie la semaine prochaine ou pas ? J'ai parlé sur Insta avec une fille, elle s'appelle Nihan Kara, elle sera là."

Adam fronça légèrement les sourcils. Nihan Kara. Bien sûr qu'il la connaissait. Elle était la meilleure amie d'Amara, celle qui parlait toujours un peu trop fort et semblait illuminer chaque pièce où elle entrait.

Il posa son téléphone un instant, réfléchissant.

Arda était ce genre de gars qui parlait à des filles sur Instagram comme s'il jouait à un jeu, accumulant les conversations sans véritable intention. Mais cette fois, l'idée que Nihan soit mentionnée piqua sa curiosité. Si Nihan venait, cela signifiait probablement qu'Amara aussi serait présente.

Il sentit une vague d'agacement monter en lui.

"Et alors ? Pourquoi ça m'intéresse ? Ce n'est pas mon problème."

Mais malgré lui, cette pensée continuait de tourner dans sa tête. Il ne pouvait nier qu'Amara avait une manière bien à elle de lui rester en mémoire. Même avec ses remarques parfois agaçantes et son air un peu trop sérieux, elle avait quelque chose d'unique.

Il relut le message d'Arda, puis, sans trop réfléchir, répondit :

"Je sais qui c'est, elle traîne toujours avec Amara. Je vais voir pour la cérémonie, mais compte pas sur moi pour te faire des présentations."

Il savait qu'il ne devait rien à Arda, encore moins concernant Nihan. Mais le fait même qu'il prenne le temps de répondre prouvait qu'il y réfléchissait sérieusement.

En posant son téléphone sur son bureau, Adam tenta de reprendre son travail. Mais il se surprit à fixer l'écran sans rien faire. Pour la première fois depuis longtemps, ses pensées dérivaient ailleurs.

Un petit sourire en coin apparut sur son visage lorsqu'il imagina Amara et Nihan ensemble à cette fameuse cérémonie. Il ne voulait pas se l'avouer, mais une part de lui avait déjà décidé qu'il viendrait.

De l'autre côté de la ville, Amara était dans son appartement, assise sur son lit avec son ordinateur ouvert devant elle. Un appel vidéo avec ses parents venait de commencer. Elle souriait, essayant de cacher la fatigue de ses longues journées de cours et de préparation pour le projet.

— "Alors, ma fille, comment ça va là-bas ? Tu manges bien au moins ?" demanda sa mère, plissant les yeux vers l'écran comme si cela l'aidait à mieux voir.

— "Oui, maman, tout va bien, je te promets. Je me débrouille." Amara rit doucement. "Je cuisine un peu, je mange parfois dehors... Rien de catastrophique."

Sa mère fit une moue dubitative.

— "Je te connais, tu as toujours été une mauvaise élève en cuisine." Puis, changeant brusquement de ton, elle ajouta avec un sourire malicieux : "Dis-moi, tu n'as pas trouvé quelqu'un là-bas, par hasard ? Une bonne raison pour rester plus tard après tes cours ?"

Amara roula des yeux, visiblement habituée à ce genre de remarques.

— "Maman, pas encore, et ce n'est pas ma priorité."

— "Pas encore !" répéta sa mère en éclatant de rire, comme si c'était une révélation. "Ton père et moi nous sommes mariés à ton âge. Ce n'est jamais trop tôt pour commencer à y penser."

— "On en reparlera dans dix ans, peut-être." Amara tenta de changer de sujet, mais elle ne put empêcher un petit sourire de se former sur ses lèvres.

— "Je te taquine, ma fille, ne t'inquiète pas."

Après quelques minutes de conversation légère, son père prit la parole, d'une voix plus grave que d'habitude.

— "Amara, il faut que je te dise quelque chose."

Elle sentit immédiatement un changement dans l'atmosphère.

— "Qu'est-ce qu'il y a, papa ?" demanda-t-elle, une pointe d'inquiétude dans la voix.

— "Ne t'inquiète pas, ce n'est rien de très grave. Mais j'ai passé quelques examens récemment, et... ils ont détecté un petit problème au cœur."

Amara se redressa instinctivement, son sourire disparaissant.

— "Un problème au cœur ? Comment ça ? Qu'est-ce que les médecins disent ?"

— "C'est une micro-maladie, quelque chose de bénin. Pour le moment, rien de sérieux, mais ils veulent que je sois suivi régulièrement. Je dois prendre des médicaments et éviter de trop me fatiguer."

Amara resta silencieuse un instant, essayant de digérer l'information.

— "Pourquoi tu ne m'as pas dit ça avant ?!" demanda-t-elle, un mélange de reproche et de peur dans la voix.

— "Parce que je ne voulais pas t'inquiéter. Tu as déjà assez de stress avec tes études."

Sa mère intervint pour calmer la tension :

— "Ton père va très bien, Amara. Les médecins ont dit que tant qu'il suit leurs recommandations, il n'y a aucune raison de s'inquiéter. Tu sais comment il est, il dramatise un peu."

— "Je ne dramatise pas !" protesta son père, avant de se tourner vers sa fille avec un sourire rassurant. "Ne t'en fais pas pour moi, concentre-toi sur tes études."

Amara hocha la tête, mais elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une certaine anxiété.

Avant de raccrocher, sa mère trouva le moyen de lui lancer une dernière pique.

— "Et n'oublie pas : si tu trouves quelqu'un, amène-le nous présenter. Mais choisis bien, hein ? Pas n'importe qui !"

Amara rit doucement malgré elle.

— "Je te promets que si je trouve quelqu'un, tu seras la première à le savoir."

Après avoir raccroché, elle resta un moment immobile, fixant l'écran de son ordinateur éteint. Le sourire qu'elle avait affiché pour rassurer ses parents s'effaça, laissant place à une expression plus sérieuse.

"Papa... Tu aurais dû me le dire plus tôt."

Elle soupira, s'allongeant sur son lit, des pensées tourbillonnant dans sa tête.

Le pont entre deux mondes Où les histoires vivent. Découvrez maintenant