C'était un coin perdu au milieu de la forêt. Pas un bruit ne vient perturber ce sanctuaire végétal, la prochaine ville semble être à des kilomètres de là. On dirait qu'aucun homme avant moi n'était parvenu à se frayer un chemin dans ce labyrinthe de verdure pour venir jusqu'ici. Pourtant, c'est bien dommage, car il y aurait trouvé un véritable paradis sur Terre. Une trouée, miraculeuse dans cette jungle luxuriante, laissait passer les doux rayons du soleil. Là, contre toute attente, s'étendait un marais, minuscule et silencieux. Un miracle ! Mais, le plus surprenant en ce lieu d'apparence désert, c'était bien ce bébé immobile, emmitouflé dans une écharpe.
Il ne respirait pas, ou peut-être pas encore. Son frêle corps était raide, ce qui me donnait encore plus l'impression d'être dans un pays où le temps s'était arrêté. Même le vent ne s'aventurait pas en cette contrée. Le nourrisson dormait, sa peau rosée de nouveau-né dépassant à peine de sa couverture frugale. Il devait être né quelques minutes auparavant, à peine, mais pourtant aucune trace ne trahissait la présence de sa mère. Où était-elle ? Loin, sûrement très loin d'ici désormais. Mais comment avait-t-elle fait ? Qui était-elle ? Et, surtout, pourquoi n'était-elle pas auprès de son enfant ?
Le petit somnolait paisiblement. Mais dormait-il vraiment ? On le croirait mort-né. Avait-il seulement eu la chance d'inspirer la moindre goulée d'air ? Avait-il eu la chance de sentir la chaleur des bras de sa mère l'enserrant ? En aura-t-il au moins la chance une fois ? Seule la Nature pourra en décider. Pour le moment, tout comme cet enfant, elle préférait rester endormie, comme si nulle vie n'était là pour les réveiller tous deux.
La vie. Cette entité supérieure, si belle et si terrifiante à la fois. Celle qui décide à qui donner le souffle et à qui le reprendre. Celle qui tire les ficelles, celle qui coupe les fils du destin de chacun d'entre nous, chaque être vivant sur cette Terre. Celle qui recouvre notre environnement de forêts verdoyantes ou de pleines éclairées, de déserts arides ou de rivières animées. Celle qui fait la pluie et le beau temps, dans le ciel comme dans l'esprit des gens. Celle qui donne des jumeaux à une mère pleine d'espoir, celle qui fait s'épanouir le petit garçon rêveur, celle qui donne de l'expérience et de l'amour a une grand-mère et celle qui finit par lui offrir le repos éternel. Mais aussi celle qui apporte la douleur sans qu'on ne la demande, celle qui distribue les droits à disposer entièrement d'un corps valide, celle qui fait naître sous une mauvaise étoile, celle qui fait disparaître les plus belles d'entre elles beaucoup trop tôt.
Ô vie ! Toi qui régis tout ce qui se trame en ce monde, entends ma requête ! Ou, au moins, donne une réponse à mon profond tracas ! Qu'as-tu décidé pour cet enfant ? Cet être si innocent, cette page vierge de toute existence qu'aucun battement de coeur ne remuait. Vas-tu le laisser ainsi ? Vas-tu faire de lui une personne indigne de te connaître, indigne de se connaître lui-même en grandissant en ce monde ? Ne veux-tu donc pas de lui ? Tu as déjà été assez cruelle de le priver de sa mère, que tu as gommé de ton croquis. Mais pourquoi ? Comptes-tu finalement lui offrir le souffle déclencheur, pour lui faire endurer le destin trop lourd que tu lui as prévu ? Je ne sais pas ce qui serait le plus horrible : vivre dans la tourmente, ou ne pas avoir vécu...
Et le souffle déclencheur se produisit. Un mouvement, un seul, me fit trembler de tout mon être et tomber à genoux, ébranlé. Ce n'était rien, rien qu'un simple tressautement de l'écharpe. Mais un mouvement si beau qu'il emplit mes yeux de larmes. Ce bébé, ce petit ange, était vivant, là où la vie humaine ne s'était pas encore aventurée. Puis, accompagné de la puissance du lion qui rugit sous le soleil levant, avec le désespoir du loup qui hurle sous la lune argentée, avec la résilience de l'oiseau migrateur qui revient à chaque été, un cri. Le premier cri d'un nourrisson qui vient au monde, le premier cri d'une longue série.
Vie, as-tu entendu ma prière ? Est-ce là un cadeau, un message d'espoir, pour me prouver que tu es là malgré la misère ? M'indiques-tu que ma errance n'est que temporaire, que je finirais, malgré ma perdition, par retrouver moi aussi le chemin de ma vie ? Oh merci à toi, merci de ne pas m'avoir abandonné ! Malgré ma soif qui me poussait à me jeter vers le marais, malgré ma faim qui me sommait d'aller trouver de quoi manger, malgré mon épuisement après avoir beaucoup marché, malgré cet instinct de survie qui me disait de continuer pour enfin trouver quelqu'un qui pourra m'aider, je me laissai tomber à genoux près du petit. Lui aussi avait soif, lui aussi avait faim, et lui aussi avait un instinct de survie. Un puissant instinct qui l'avait poussé à vivre.
Je soulevai doucement son petit corps gigotant à peine. Il devait avoir froid. Avec toute la délicatesse dont je pouvais faire preuve, je le pressai tout contre mon torse en fixant ses beaux yeux azuréens. Dans un murmure, mais qui témoigna de toute ma volonté, de toute ma détermination, je l'accueillis comme il se devait parmi les mortels.
« Bonjour... Je prendrai soin de toi. Tu vivras. »
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