Chapitre 34

27 5 16
                                    


     — Seulement si t'arrêtes de la martyriser, cria l'espagnol de l'autre côté du battant.

     Furieux, Cassien s'abstint tout de même d'apposer une nouvelle fois son poing libre sur la porte, attendant religieusement, chaque nerf de son corps tendu à l'extrême. Les mots suivants lui agitèrent ses pulsions meurtrières.

     — J'déconne. Parlez ! À plus les nazes.

     — Putain, siffla-t-il entre ses dents.

     Seul réceptacle de sa colère, il fusilla Loup du regard, le rendant responsable de toute cette situation. Une fois de plus, le noiraud baissa les yeux, appuyé contre le bord de la baignoire, les mains entremêlées entre ses cuisses. Son air fautif lui donnait de l'urticaire. Face à son volcan en pleine explosion, il avait besoin de répondant. Ça serait plus facile si Loup le confrontait. Hélas, ce dernier se contentait purement de se dérober, inlassablement, fuyant encore ses responsabilités.

     Agacé, il souleva la cuvette des toilettes et aboya :

     — Tourne-toi.

     — Quoi ? coassa Loup en redressant la tête.

     — Tourne-toi, répéta Cassien dont les cordes de la patience s'effilochaient de secondes en secondes. Je suis venu pisser et si je dois rester enfermé ici avec toi, autant que je me vide.

     Il ne lui jeta pas même un regard mais du coin de l'œil, il le vit pivoter, passer ses jambes par-dessus les rebords de la baignoire puis tirer le rideau. Ce dernier détail lui fit secouer la tête, irrité. Était-ce vraiment nécessaire ? Ne voulait-il à ce point ne pas le voir ? Sa vision lui était-elle si douloureuse ? Ou préférait-il simplement ignorer les dégâts qu'il avait causés dans son sillage ?

     Il se lava la main libre et observa son reflet dans le miroir. Orageux. Il aurait presque pu contempler la tempête qu'il couvait depuis ce début de soirée, depuis que le vert insaisissable avait percuté le bleu vengeur. Les mots s'entrechoquaient dans sa tête, oppressaient son esprit, rendaient douloureuse sa trachée. Il n'avait pas le même pouvoir que Loup à l'écrit. Ses paroles sortaient sans formes, sans tact, sans être mesurées. Elles faisaient état de ses blessures, écorchaient, brûlaient, dépouillaient, blessaient à vif. Et quand il laissait la barre aux monstres dans son ventre, à celui qui réclamait vengeance, à celui qui arrachait, dévorait la moindre parcelle de vie, il faisait fi des émotions des autres. Il n'y avait plus que les siennes. Vives, violentes, tranchantes. Elles le fracassaient autant que les autres.

     — Pourquoi ? s'entendit-il demander.

     Paupières closes, il s'obligea à inspirer. Ses mains tremblaient. Il referma son poing valide, refusa de paraître touché pourtant, le silence agressait sa réticence. Il avait besoin de savoir. Même après six ans. Même après avoir été plongé dans l'incompréhension, puis s'en être relevé, certains que cette explication ne changerait rien.

     Et pourtant, il était là. Planté au milieu de cette salle de bain, à fixer un rideau résolument tiré, quémandant une réponse à cette question qui l'avait si longtemps torturé.

     Pourquoi tu m'as abandonné ? Pourquoi tu ne m'as jamais répondu ? Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit ? Pourquoi tu as préféré le silence aux mots ? Pourquoi tu m'as repoussé comme si je ne représentais rien à tes yeux ? Pourquoi ?

     — C'est trop difficile de répondre ? ajouta-t-il, aigre.

     Encore et toujours ce foutu silence qui avait broyé la moindre étincelle de confiance, d'espoir, d'amour. Cette absence de bruit qui l'avait anéanti.

Tome 2 - True LoveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant