14-l'étau se resserre

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De retour au palais, nous franchîmes discrètement les portes latérales, évitant les rondes des gardes. Rûn se glissait dans les ombres avec une aisance qui témoignait de son habitude de ne pas être vu.

Quand nous atteignîmes un couloir isolé menant à ses cachettes habituelles, il s’arrêta brusquement.

« C’est ici que je te laisse, » murmura-t-il, jetant un regard nerveux autour de lui.

Je lui attrapai doucement le bras, assez pour attirer son attention sans lui causer d’inconfort.

« Rûn, » dis-je avec sincérité, « tu ne peux pas continuer à vivre comme ça. Ce froid, cette faim… Tu vas finir par… »

Il me coupa, secouant la tête avec une fermeté inattendue.

« Je m’en sortirai. Comme je l’ai toujours fait. Tu devrais te concentrer sur ta propre sécurité. Kerna est bien plus dangereux que tu ne veux l’admettre. »

Je soupirai, conscient qu’il avait raison, mais je ne pouvais pas ignorer la faiblesse de sa posture, les cernes qui creusaient ses traits fins.

« Je trouverai un moyen, » dis-je après un instant. « Un moyen pour que tu n’aies plus à te cacher. Pour que tu sois libre. »

Un éclat de douleur traversa son regard, et il détourna les yeux.

« Libre ? Vil, je n’ai jamais été libre. Pas depuis ma naissance. Kerna me rappellera toujours ce que je suis : un bâtard indésirable. Peu importe ce que tu fais. »

Ses mots me frappèrent comme un coup de poignard, mais je ne répondis pas immédiatement. À la place, je tendis la main vers sa joue, hésitant un instant avant de me rappeler qu’il avait franchi cette barrière lorsqu’il m’avait touché dans ma chambre.

« Rûn, » murmurai-je doucement, « tu mérites mieux. Je ne peux pas changer ce qu’il pense, mais je peux au moins te protéger. »

Il ferma les yeux, un tremblement parcourant son corps, avant de se dégager doucement de ma main.

« Tu es fou, Vil, » murmura-t-il. Mais il n’y avait aucune colère dans sa voix, juste une fatigue écrasante.

« Peut-être, » répondis-je avec un sourire triste. « Mais je suis fou de vouloir te voir vivre, pas simplement survivre. »

Il me regarda encore un moment, puis se détourna.

« Rentre avant que quelqu’un ne te voie. Merci… pour ce soir. »

Il s’éloigna dans les ombres, et je restai là un instant, seul dans le silence froid du couloir.

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Cette nuit-là, je ne parvins pas à trouver le sommeil. Rûn avait raison : ma présence ici devenait de plus en plus risquée. Kerna resserrait son emprise, et chaque décision que je prenais semblait attirer davantage d’attention sur moi.

Mais je ne pouvais pas partir.

Le lendemain, alors que je patrouillais dans la salle du trône, une nouvelle convoqua tous les gardes pour une annonce urgente. Kerna, debout sur une estrade, arborait son sourire glacial habituel.

« Mes chers gardes, » commença-t-il, sa voix résonnant dans la pièce. « Il semble que nous ayons un problème croissant au sein de notre royaume. Des vivres disparaissent. Nos ressources s’amenuisent mystérieusement. Et, pire encore, un Némérys a été aperçu près de nos frontières. »

Un murmure parcourut l’assemblée. Kerna leva une main pour rétablir le silence.

« Je suis certain que ces incidents sont liés. Par conséquent, je vais personnellement superviser les enquêtes. Aucun coin du palais ne sera négligé. Chaque mouvement sera surveillé. Chaque anomalie, rapportée. »

Son regard balaya la salle, s’attardant un instant de trop sur moi.

« Je ne tolérerai aucune trahison. Est-ce clair ? »

Un chœur de « Oui, majesté » répondit à l’unisson, mais mon esprit était déjà ailleurs.

Kerna avait décidé de serrer l’étau. Il savait quelque chose. Ou, pire, il testait les eaux pour voir qui craquerait en premier.

Je devais redoubler de prudence. Pas seulement pour moi, mais pour Rûn. S’il venait à être découvert, je savais que Kerna ne montrerait aucune pitié.

le voyage de VilOù les histoires vivent. Découvrez maintenant