— Vous avez vu le coup de poing que la princesse Acacia a envoyé à un type qui s'était un peu trop approché de la princesse Béryl dans la cohue pendant le Festival ?
— Et comment, c'était impressionnant ! Ça va nous changer, une princesse comme ça, on n'a pas l'habitude.
Ce fut avec réticence que Saule interrompit la conversation entre les gardes en faction devant la porte de sa chambre, mais il ne pouvait pas rester bloqué indéfiniment à l'intérieur, l'oreille collée contre le battant.
Lorsqu'il sortit, gardes crépusculaires et aubéens se turent et raidirent leur position. Saule remarqua tout de suite que Tamaris n'était pas à son poste. Interrogés sur son absence, ses collègues échangèrent des regards embarrassés.
— Il n'est en retard que de quelques minutes, Votre Altesse, dit l'un d'eux. Nous venons de prendre la relève. Un imprévu a dû le retenir.
— Vraiment, un imprévu ? répéta Saule, moqueur. Vous appelez ça comme ça, vous ?
Les gardes se raidirent sans ajouter un mot. Saule pouffa dans sa main. C'était bien la première fois que certains de ses sujets manifestaient de la crainte devant lui. Pourtant, il n'en voulait pas à Tamaris. Il aurait dû, certes. Rien ne justifiait d'abandonner ainsi son poste. Pourtant, Saule se sentait d'humeur protectrice vis à vis de l'idylle du jeune garde pour lequel tout paraissait si simple.
L'idée lui vint alors d'un moyen de voir Jaspe, et même, de lui parler sans frein ni entrave. Bien sûr, il ne devait pas s'attendre à ce que celui-ci lui réponde. Le jeune homme fit demi-tour. Dans le couloir suivant, il coupa court d'un geste au flot d'excuses de Tamaris qui courait vers son poste puis obliqua dans la galerie des portraits.
Par un miracle de sens de l'orientation qui le surprit lui-même, il retrouva vite le corridor des portraits de famille. Il se dirigea vers la partie que Béryl avait négligé de lui faire visiter. Sous le tableau imposant du roi Lapis et de la reine Opale en costume de sacre, s'alignaient les portrait de leurs enfants dans un cadre ovale en bronze doré.
Saule découvrit un Jaspe plus jeune, plus détendu. Il l'examina avec affection. Il pouvait même se laisser aller à croire qu'il l'invitait à lui parler.
— Où en êtes-vous, mon cher Jaspe ? demanda-t-il alors. Il est évident que vous bataillez avec vous-même. Mais contre quoi ? Est-ce que je me leurre en imaginant avoir une place dans votre cœur ? Et même si c'était le cas, ai-je la moindre chance face à votre impitoyable sens du devoir ?
Saule leva la main et effleura la toile du bout des doigts, en une légère caresse.
— Que feriez-vous si je vous avouais mes sentiments ? Prendriez-vous la fuite encore une fois ? Et moi, qu'aurais-je à y gagner ? Je ne peux me résoudre à renoncer à cette chimère. Pourquoi ? Est-ce une façon d'affirmer ma liberté, une dernière fois ?
Avec un soupir, il s'éloigna d'un pas. Il remarqua alors que la tapisserie, à la gauche du portrait de Jaspe, laissait deviner la trace ovale d'un ancien tableau, de même taille. Intrigué, il passa la main dessus et trouva même le trou d'une attache.
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Conte de l'Aube et du Crépuscule
Fantasy"Il était une fois deux royaumes, en guerre depuis des siècles. Deux royaumes que tout opposait sinon les souffrances nées du conflit. Il était une fois un roi et une reine, las de la guerre. Un roi et une reine qui surent mettre de côté la rancœur...