XVI. Frissons

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J'entrai dans le café d'un pas alerte, genre working girl entre deux dossiers. Consciente de n'être absolument pas crédible, j'avais la désagréable sensation que ça crevait les yeux. En réalité, attablés autour de leurs bretzels, les gens ne prêtaient évidemment aucune attention à moi.

Alex se leva et me tendit le bras. Instinctivement, je me défendis de tout contact avec lui et le saluai d'un bonjour réfrigérant. Il retira sa main et se rassit. Je le regardai. Une mèche brune et indomptable barrait son visage. Sa peau était aussi dorée que dans mon souvenir et il planta ses yeux noirs dans les miens. Je mis enfin un visage sur ce que l'on appelait un "brun ténébreux". Mais c'étaient ses lèvres qui m'hypnotisaient le plus. Enflées, gonflées, charnues, elles appelaient au baiser, au désir, au plaisir.

- Merci de prendre le temps de me rencontrer. Je vous ai amené le plan prévisionnel pour mon mémoire, afin que vous puissiez me donner votre avis. Je pourrai le modifier selon vos conseils ou si le sujet ne vous semble pas pertinent.

Il me tendit ses documents. En l'attrapant, je frôlai sa main brune et large. Je frissonnai de tout mon corps, comme si le simple contact de sa peau me remplissait d'une sensualité jusqu'ici inexplorée. Je m'y repris à trois fois pour que mon cerveau imprime la première ligne. Je ne pus descendre plus bas dans la lecture. Mille questions perturbaient mon esprit, sur ce que je ressentais, sur mon âge, sur ma capacité à m'engager, sur ma fidélité. Je remettais tout en cause. Tandis que ma vie était stable depuis six jours, un record, ce gamin qui me vouvoyait venait tout chambouler.

Je sentis soudain une caresse sous la table. Son pied. Le mouvement n'était pas érotique, il s'agissait d'un simple va-et-vient de stress contre ce qu'il pensait être le pied de la table. Au lieu de retirer ma jambe, je restai là, immobile. Je n'arrivais plus à me concentrer sur quoi que ce soit d'autre que ce frottement régulier, an avant, en arrière, en avant...

- Maeva?

Je sursautai.

- Oui, oui. Je suis désolée, je suis un peu fatiguée.

Il prit ma main.

- Vous êtes sûre que ça va? Vous êtes blanche.

Je fermai les yeux pour sentir ma main entière enveloppée dans la sienne. J'avais fermé mon poing comme pour me sentir encore plus minuscule dans cette main chaude.

- Ecoute, tu n'as qu'à me laisser ton plan que je lirai tranquillement chez moi. Je te ferai un retour par mail.

Je me levai. Cette entrevue m'avait bouleversée, moi et mes repères.

- Attendez, je vous raccompagne un bout de chemin, vous n'avez vraiment pas l'air dans votre assiette.

J'acquiesçais mollement d'un signe de tête.

Nous sortîmes. Alors que nous étions fin juin, j'eus l'impression que l'air était glacial. Je me retournai vers Alex. Il me regarda l'air inquiet et passa son bras autour de mes épaules.

Ce fut la dernière chose dont je me souvins.

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