L'émoi est haïssable

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" Il arrive parfois que la route de l'amitié conduise à l'auberge de l'amour."


Notre relation s'intensifiait de jours en jours, mais toujours amicalement. Il avait pris l'habitude de venir tous les jours à la coop' dès qu'il avait un moment de libre. Tous les étés, et tous ses jours de congés durant l'année, il était obligé d'aider son père à la ferme. Les fromages de chèvre étaient vendus à la coopérative, et un dimanche sur deux, ils partaient les vendre sur le marché de la ville la plus proche, Saint-Martin. Je le trouvais tellement courageux. Il n'avait que très peu de moments à lui, il était toujours réveillé aux aurores, et passait finalement son temps à travailler. Quand il n'était pas avec moi bien sûr.Je l'avais gentiment disputé une fois, car il était venu me tenir compagnie, alors qu'il semblait épuisé. Je lui avais dit de rentrer chez lui se reposer, et qu'on se verrait le lendemain. Mais il avait refusé prétextant que ca lui faisait du bien d'être là. Il m'avait même avoué, qu'avant de me connaitre, à chaque fois que son père lui donnait un moment de liberté, il ne l'acceptait pas et continuait à travailler. Finalement il avait un rythme un peu moins soutenu depuis que j'étais arrivée à Val-en-Père.

Un jour, Judith me demanda d'aller chez elle pour que je récupère une commande de fromage faite par une cliente. Je n'avais jamais mis les pieds chez Judith, mais je savais parfaitement où c'était. Pour que je t'explique, le village était comme planté en haut d'une grosse colline, et la rue principale était une montée qui desservait plusieurs maisons, et si on continuait encore un peu on accédait à la montagne et à ses chemins de randonnée. Celle de Judith était la maison la plus haute, elle surplombait tout le village. Malgré la montée et la chaleur, les distances étaient plutôt courtes. J'étais partie à pieds. C'aurait été ridicule de prendre la voiture pour si peu. En arrivant là-bas, personne n'était là pour m'accueillir. Ils devaient pourtant bien savoir que je viendrais, puisque la commande était passée pour aujourd'hui. Personne dans la maison. Je ne voulais pas revenir bredouille et passer pour une fille pas débrouillarde auprès de Judith; alors je fis le tour du coté des étables, en espérant qu'il y ait Laurent en train s'occuper des chèvres, ou alors que le petit paquet serait préparé dans un coin. Toujours rien. Je ne voulais tout de même pas rentrer chez eux pendant qu'il n'y étaient pas. J'étais sur le point de repartir, quand j'entendis du bruit qui provenait des écuries. C'était sûrement les chevaux, mais je voulais en être certaine. En m'approchant, je vis Nathorod, qui visiblement était en train d'aider sa jument à mettre bas. Son visage brillait de sueur, ce travail semblait harassant, il mettait toute son énergie à l'aider. Je me disais combien les hommes des campagne étaient de vrais hommes comparés à ceux des villes. Je l'admirais pour sa force, et son courage. Je remarqua qu'il était torse nu. Je pouvais voir son corps, et il était loin d'être le corps d'enfant que je m'étais imaginé qu'il avait. En fait je ne l'avais jamais imaginé, mais pour moi il était un enfant, et de voir ce corps si massif, si musclé, si...mâle, j'en étais abasourdie. J'avoue que cette vision me chamboula. Que se passait-il dans ma tête ? Pourquoi avais-je d'un seul coup un retour aussi érotique de son corps ? J'essayais de me reprendre en me disant que c'était simplement parce qu'il était le seul garçon avec qui je parlais vraiment en ce moment, et que ca devait être inconsciemment le seul rapport de séduction que j'aurais pu avoir ces temps-ci, même si je n'avais rien fait en ce sens.

Il faisait une chaleur extrême, et cela ne m'aida pas à me refroidir. Lorsque je repris légèrement mes esprits, je voulus partir, je n'avais pas envie de lui parler, j'avais l'impression que je n'arriverais pas à gérer, et il ne comprendrait pas. Malheureusement il remarqua ma présence à ce moment là. Au moment où il croisa mon regard, je rougis instantanément. Je mis les mains sur mes joues qui me brûlaient pour les soulager, mais aussi pour qu'il ne s'aperçoive de rien. Mais bien entendu il avait vu mon embarras. Il sourit. Je m'en voulais que mon corps me trahisse. Je ne savais plus où poser mes yeux. Il s'approcha de moi, et j'eus un peu de mal à déglutir. Bon sang, je ne l'avais jamais vu aussi beau.

-"C'est moi que tu cherchais ?"

Il parlait d'une voix grave et séductrice. Il n'avait pas l'air de se forcer pourtant. Alors sa voix aussi avait changé durant la nuit, pour devenir à ce point envoutante et lascive ? Je fixais le sol, et tachais de reprendre mes esprits. Je me raclais la gorge afin d'enlever toute gène dans ma voix. Je ne voulais pas lui tendre une perche et qu'il prenne tout ceci pour une avance.

-"Ta mère m'envoie chercher la commande. Elle m'a dit que tu étais au courant."

J'avais répondu sur un ton un peu expéditif, et trop ferme, sévère. Plus que je ne le souhaitais. Déjà, j'avais des remords. Nous étions tellement gentils l'un avec l'autre d'habitude ! Il s'arrêta de sourire, l'air déçu et profondément triste. Il alla chercher ce que je lui avais demandé. Quand il me le rapporta, il me fixa dans les yeux d'un air grave. Je ressentis une pointe dans le ventre à ce moment là, et je ne savais pas si c'était de la douleur, ou autre chose... Quelque chose que je n'avais pas ressenti depuis bien longtemps et que je ne connaissais que trop bien. Je détournais le regard et m'en allais.

Je retournais voir Judith, et me remettais au travail. Une commande venait d'arriver, et je devais tout ranger. Malgré le fait que j'étais occupée, mon esprit était obnubilé par ce qui s'était passé un peu plus tôt, et je ne pensais qu'à Nathorod. Quand Judith s'aperçu que j'étais en train de ranger des carottes au milieu de l'étagère à papeterie, elle me conseilla de rentrer me reposer. J'acceptais, mais j'avais l'impression que ma tête bouillait tant je réfléchissais.

Tout l'après-midi, je n'avais fait que penser à cet instant. C'était si étrange; il avait fallu une fraction de seconde pour que tout soit chamboulé. Je n'arrive toujours pas à décrire ce que je ressentais à ce moment là. Ca ne pouvait pas être de l'attirance. Ca ne devait pas ! Je chassais l'idée de ma tête, car je me trouvais stupide, ne serait-ce que d'y penser. Nous n'avions pas le même âge, c'était insensé !

Le soir même, je prenais une douche froide histoire de me calmer légèrement, et décidais d'aller me coucher tôt. Je n'avais pas mangé, et de toute façon je n'avais pas faim. J'eus du mal à m'endormir et mon sommeil fut agité. Je refaisais le scénario dans ma tête, et ne pouvais m'empêcher de penser à lui.
Le lendemain, j'étais réveillée à l'aube. Je m'étais préparée, et avais un peu accentué mon maquillage. Je l'avais fait sans même le vouloir.

Nous étions un mardi, et je devais prendre la voiture pour aller chercher les cagettes de jus de fruits chez monsieur Valero. En allant à la camionnette j'étais stressée, je savais que Nathorod m'y attendait comme chaque semaine. J'angoissais, et même temps j'étais impatiente de le revoir. Je voulais savoir ce que je ressentirais quand je le verrais. Si ce que j'avais vécu la veille était réel, ou si mon esprit avait juste été échauffé par le soleil.

En arrivant, je fus des plus déçue, Nathorod n'était pas là...

La défaite du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant