Partie 1

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Jeudi, Fev. 19, 2009

01h23

On était jeudi soir. C'était l'automne. Trois mois plutôt, le premier président noir des États-Unis avait prêté serment. J'étais assis au bout du comptoir. En fond de salle. Le regard trouble, je fixais le fond de ma bière comme un alchimiste sa fiole.

Cela faisait plus d'une heure que tout le monde était parti. La tête vidée de tout bruit, de toute pensée, je me détendais vraiment. C'était devenu une de mes habitudes. J'aperçu le barman à l'autre bout. Massif, plus videur que barman; je ne l'avais jamais vu avant. Quelque chose dans ses traits m'évoquait l'Europe de l'Est. D'un geste machinal il nettoyait un verre qui semblait déjà propre. Hormis le barman j'étais seul, du moins c'est ce que je croyais.

« Vous avez déjà vu des requins ? »

Je fronçais les sourcils. Cette voix me parut aussi incongrue que celle d'un inconnu assis dans mon canapé préféré. Un peu agacé par cette présence, je me retournai à demi sur mon tabouret.

"Non".

Je m'éclaircis la voix en toussant.

"Je crois pas."

Mon buste repris sa position initiale. D'ailleurs je n'étais pas sur d'avoir compris la question.

Est ce qu'il avait dit requins?

Comme pour répondre à mon interrogation, l'homme continua.

« Les requins ont un sixième sens qu'on appelle ampoules de Lorenzini, c'est comme ça qu'ils détectent leurs proies. » Il marqua un pause avant de reprendre sur un ton enjoué, « J'imagine qu'à part les proctologues je ne vois pas qui ça intéresserait. »

L'image d'un médecin avec une ampoule sur le nez en train de réfléchir, la tête face à cul, me traversa l'esprit. Un grand sourire se dessina sur mes lèvres.

Difficile de replonger dans mes pensées à présent.

Je me retournai complètement toujours amusé par l'image dans ma tête, cherchant à deviner à qui j'avais affaire. Je pris un moment pour observer.

L'homme qui venait de parler était assis dans un fauteuil capitonné, dos au mur. Une petite table en bois supportait sa pinte de bière. La lumière projetée par les appliques vertes semblait glisser sur la scène.

Seules ses mains, posées à plat sur la table, étaient dans la lumière. Je ne distinguais ni bijou, ni montre. Ses ongles étaient propres, ce qui changeait de la clientèle habituelle. Même après plusieurs bières, je gardais mes réflexes de journaliste d'investigation. Je m'en félicitais mentalement.

"On n'échappe pas à un requin. Nager, manger. Nager, manger. Une authentique machine à tuer. », dit il.

Je secouai la tête.

- Des gens ont bien échappé à des attaques, on a plus de chance d'être frappé par la foudre que d'être tué par un requin. C'est juste l'effet Dents de la Mer.

- Tu parlais des chiffres, ils sont vrais, mais ils sont très surfaits amigo et tu sais pourquoi ?

- Non, mais tu vas me le dire,

- Et bien par ce que nous ne sommes pas des poissons, »

Il laissa les mots en suspens pendant un moment.

« Parce que les requins n'aiment pas la chair humaine, pas assez de graisse à leur goût mais qui sait, peut être que certains d'entre eux pourraient changer d'avis. "

Il but une gorgée et posa le verre avec l'autorité d'un juge prononçant sa sentence.

Je fronçai à nouveau les sourcils mais d'incompréhension cette fois. Le ton amical de tout à l'heure était désormais glacial, voire menaçant.

ReggieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant