- Je me souviens quand je l'ai retrouvée. Ses parents étaient en voyage d'affaires et sa mère n'avait pas de nouvelles, alors elle m'a demandé de passer la voir. J'y suis allée.
Je secoue la tête et ma voix est sans expression, mon corps insensible aux émotions tandis que la nuit où je l'ai découverte défile devant mes yeux.
- Abbi ? Abbi, tu es là ? (J'avais frappé à la porte avec véhémence.) J'enfonce la porte s'il le faut ! Allez quoi, Ab, ta mère s'inquiète.
Rien. Elle ne répondait pas. J'ai frappé plus fort.
- Tu as cinq secondes pour répondre avant que j'entre !
J'ai compté lentement dans ma tête. Un Mississippi. Deux Mississippi. Trois Mississippi... On ne s'était peut-être pas parlé depuis un mois, mais elle était toujours ma meilleure amie.
- OK, j'entre !
Je l'ai prévenue une dernière fois avant de reculer pour enfoncer la porte à coups de pied.
La porte a cédé et je l'ai ouverte. Je me suis figée devant ce que j'ai vu.
Abbi était allongée dans la baignoire, tout habillée, la baignoire à moitié pleine, ses bras pendant sur le côté. Du sang coulait de nombreuses entailles et écorchures le long de ses bras, et un petit flacon brun a attiré mon attention. Je l'ai ramassé d'une main tremblante. De l'aspirine. La manière la plus facile. C'est maman qui nous l'avait appris - seize comprimés suffisaient si on ne vous découvrait pas tout de suite. Qui sait depuis quand Abbi était enfermée dans sa salle de bains ?- Oh, Abbi.
J'ai sangloté en lâchant le flacon. Dans le silence, il s'est écrasé au sol avec un fracas assourdissant. J'ai reculé contre la porte en essayant d'empêcher mes jambes de trembler. J'ai sorti mon téléphone de ma poche et composé le numéro des secours en tremblant.
Avait-elle un pouls ? Je ne savais pas. Est-ce qu'elle respirait ? Je ne savais pas. J'avais peur de la toucher. J'avais peur de la déplacer. Pitié, ne sois pas morte, je pensais. Pitié, ne m'abandonne pas toi aussi. J'avais d'abord perdu ma mère. Je ne pouvais pas perdre Abbi à son tour. Je ne pouvais pas perdre les deux. Pitié pitié pitié pitié.
J'ai raccroché après avoir donné les informations et je suis restée figée devant son corps inerte. Sa poitrine se soulevait légèrement et une vague de soulagement s'est emparée de moi. Elle était vivante. Peut-être.
Mais pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi elle avait fait ça ?
- Je savais pourquoi, bien sûr, je murmure. C'est Pearce qui l'avait amenée jusque-là. Il l'avait brisée en mille morceaux. Il l'avait détruite. La seule chose qu'il lui restait, c'était la survie.
- Oh, mon ange, dit Justin en me serrant contre lui.
- Elle est en vie. Elle est dans une « institution » pour adolescents dépressifs en dehors de Brooklyn. Elle est en vie, mais elle ne vit pas vraiment. Je me dis parfois qu'elle serait mieux si elle n'était plus là, et ensuite je me sens terriblement mal. (Des larmes chaudes coulent sur mes joues.) Je ne sais toujours pas tout ce que lui a fait Pearce, et je ne le saurai jamais. Je ne veux pas savoir. Rien que l'idée me fait peur.
- Tu te sens coupable, c'est ça ?
- Oui. Si j'étais simplement restée à ses côtés, j'aurais peut-être pu mieux la protéger. Je ne sais pas, Jay. Peut-être que si je ne l'avais pas laissée toute seule, elle serait encore, eh bien... normale, quoi.
- C'est pas ta faute. Tu n'as rien fait.
- Je le sais, vraiment, mais je déteste que ce soit moi qui l'aie trouvée. Enfin, même si c'est encore heureux que je l'aie trouvée. Les secouristes m'ont dit que si j'avais hésité encore quelques heures, elle serait morte. Elle avait avalé tous ces comprimés et s'était coupé les veines. Elle ne s'était pas arrêtée à ses bras. Ses cuisses et son ventre étaient cachés sous ses vête- ments. Elle portait du noir, donc je ne les ai pas vues, mais l'eau dans la baignoire maintenait les plaies ouvertes. Elle savait exactement ce qu'elle faisait. C'était pas un appel à l'aide, c'était un vrai suicide.