Chapitre 27 : Labyrinthe

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  Leurs cœurs semblent s'arrêter mais le train, lui, continue de rouler à toute vitesse. Mademoiselle Larrieu baisse la tête, ses mèches retombent et il lui redresse la tête sans perdre son sang-froid.
Colas : Je crois qu'il va falloir me parler. Je ne vais pas vous lâcher.
  Elle détourne le regard encore quelque fois et, prise au piège, le regarde enfin dans les yeux. Il s'appuie contre la vitre opposée et face à face, ils semblent admettre qu'ils n'aient pas toujours été amis.
Florence : J'ai peur pour ma belle-mère... Chaque fois que je viens c'est de pire en pire... Quand elle ne sera plus là je...
  Il la surprend mais n'arrête pas son geste, il la prend dans ses bras comme jamais il ne l'a fait, et dans son cou, Florence pleure encore. Colas la console avec de belles paroles, qu'elle n'avait encore jamais entendues jusque là. Réconfortée, elle termine son sombre énoncé.
Florence : Chaque collègue que j'ai eu m'a charriée sur ma solitude... Mais quand elle ne sera plus là, je n'aurai plus personne. Pas d'enfants, pas de famille... Quand je vois mes amis... Le juge Nevers, elle a des belles filles, un fils adorable, quelqu'un qui l'aime...
Colas : Ce n'est pas votre cas ?
Florence : Hein ?
Colas : Moi je crois que vous en avez, des gens qui vous aiment. Vous ne les voyez peut-être pas ? Votre cousine qui vous a appelée la dernière fois, elle n'était pas heureuse de vous avoir au téléphone ? Vous n'êtes pas seule mademoiselle Larrieu. Vous ne le serez jamais.
  Le regard d'une juge brisée bifurque maladroitement sur les lèvres de son commandant, et ce qui devait arriver arriva...

  Contre la volonté de la juge et de sa fille, elle baisse la poignée. Juliette est avec Alice, elles vont se retrouver toutes les deux après tant d'années. Flora culpabilise mais quand elle le voit, figé devant la fenêtre, elle ne regrette pas d'être entrée.
Flora : Fred ? Qu'est-ce que tu fais debout ?
  Il pivote sur lui-même, étonné de ne pas trouver sa fille mais son ex-femme.
Flora : Je sais, ce n'est pas ce que tu attendais mais j'ai préféré venir pour te parler. Juju est avec Alice.
Fred : Ça va ?
  Sa voix grave ne la rassure pas. Elle le fait assoir et s'assoit aussi sur son lit, la main posée sur la sienne. Marquand, impuissant, la regarde sans comprendre. Elle est toujours aussi belle, les cheveux remontés, un maquillage discret, des vêtements élégants mais moins, bien sûr, que ceux de la dernière fois.
Flora : Ça va.
Fred : Tu voulais me parler de quoi ?
Flora : De... Juliette. Bon, vous vous êtes retrouvés, c'est bien, mais on fait comment ?...tu vis chez Alice ?
Fred : Euh...non pas exactement...mais je ne vois pas le rapport Flora.
  Entendre son prénom prononcé par le commandant qu'elle a quitté lui fait une sensation bizarre.
Flora : Quand elle viendra chez toi...
  Son regard retourne vers le fenêtre, il semble comme absorbé par le ciel gris. Flora le fait se lever, met sa tête entre ses mains et sans savoir ce qu'elle fait, presse ses lèvres contre les siennes.
Se laissant faire, comme avec Marie — ou Rachel —, il est absolument perturbé. Une infirmière entre pour les soins et ils arrêtent à temps pour ne pas qu'elle les voie.
Infirmière : Oh pardon, je peux repasser si vous voulez.
Fred : Non, ça va. Restez.
  Il s'allonge, Flora est pleine de honte, elle s'apprête à sortir, mais Fred lui fait signe.
Infirmière : Ça fait mal, si vous voulez bien rester avec lui... Je pense que ça lui fera du bien. Vous pouvez lui tenir la main ?
  Flora hésite tellement que l'infirmière se demande qui est cette femme, si elle n'est ni celle de Marquand, ni sa sœur...
Mais c'est lui qui lui prend la main et serre les dents, les yeux clos.
Infirmière : Voilà, c'est bon. Je vous rince un peu la plaie, et je mets l'autre. Tout ira bien, d'accord monsieur Marquand ?
  Il ne répond pas.
L'opération terminée, ils se retrouvent à nouveau seuls.

Simon : Qu'est-ce que tu as ? Tu m'as toujours pas dit ce qui n'allait pas, Lucie.
  Elle referme la porte sur son petit Nathan endormi, et se rend dans le salon. Elle s'assoit la première, Simon attend longtemps avant de faire de même.
Lucie : Alice m'a dit que j'avais une sœur. Mais...pas d'elle.
Simon : Comment ça ?
Lucie : Justement, je n'en sais pas plus. Je n'y avais pas pensé mais en vingt ans, il a eu sa vie, il a forcément eu d'autres enfants, mon père.
Simon : Ce n'est pas faux. Je suis là, il ne faut pas que tu aies peur si tu dois la rencontrer... Ça va bien se passer.
Lucie : J'ai peur... je perds ma mère et en même temps ma tante, et là je retrouve ma famille et ils m'annoncent qu'il y en a une autre...
Simon : Je te comprends...
  Elle se lève soudainement et Simon se retrouve seul.
Lucie : Non, justement ! Tu ne comprends pas ! Tu n'oses même pas appeler mon père pour qu'on se voie tous les quatre ! Je dois tout prendre en main, je n'en peux plus Simon, je n'en peux plus !!!
  Les joues immaculées de larmes, elle court dans la chambre la plus proche, la leur, et s'y enferme. Elle se jette dans le lit, se réconforte avec les couvertures et serre une photo de son père — qui est sur la table de nuit — contre elle. Simon la laisse quelques minutes et revient après que l'orage soit passé.
Simon : J'ai eu une famille, Lucie. J'ai peut-être eu cette chance, sauf que personne ne s'intéressait à moi. J'étais dans mon coin, il n'y en avait que pour les autres, moi j'étais trop ceci ou pas assez cela. Je me suis construit seul et maintenant, c'est automatique, quand je peux, je m'en remets à quelqu'un d'autre, que j'aime... et en qui j'ai confiance.
  Il attend qu'elle fasse un geste mais elle ne bouge pas, alors il s'impose, retire les couvertures et la serre dans ses bras. Les chuchotements rassurants reprennent le dessus, et Lucie articule, entre deux inspirations :
Lucie : Je t'aime, Simon.

Alice Nevers, juge d'instructionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant