-Je n'ai jamais vu autant de vêtements de ma vie... je murmure.
Mary soupire, puis désigne les portants d'un geste de main.
-Il y en a trente-neuf, explique-t-elle. J'ai viré Leslie ce matin, ce qui veut dire que vous avez carte blanche pour le look.
J'embrasse la salle du regard. La moquette qui recouvre le sol est grise, il y a deux lustres de cristal qui pendent au plafond et qui baignent la pièce sans fenêtre de lumière. Tous les portants sont recouverts d'une multitude de cintres et je reconnais des filles de la télé se faire conseiller pour leurs ensembles.
-Dans une heure, continue Mary, ce sera à vous.
Elle m'adresse un pincement de lèvre que je préfère prendre pour un sourire et ferme la porte.
Je reste un moment sans bouger, n'osant pas m'imaginer sur un plateau télé dans à peine soixante minutes.
J'inspire un bon coup et m'approche d'un portant au hasard. Il y a des jupes. De toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les matières, de toutes les longueurs...
« Prend ce qui te plaît ».
Je m'avance vers un modèle jaune pâle, avec plusieurs volants. « Carnaval » indique une étiquette collée sur le tissu.
C'est bon signe le carnaval, non ? Quand j'étais petite, je fabriquais moi-même mes costumes et mes parents me complimentaient tout le temps...
-Jessie, c'est bien ça ?
Une jolie fille blonde me tire de mes rêveries.
-Eh mais je vous reconnais ! je m'écrie. Vous faites la météo ! C'est bien vous ? Carina Fergus ?
Elle hoche la tête puis me considère.
-J'ai également entendu parler de vous, me confie Carina.
Voyant mon air perplexe, elle complète :
-Mary, l'autre blonde qui vous a accompagné. Elle m'a parlé de vous. De votre... style...
Je souris de toutes mes dents. C'est bon signe !
C'est à mon tour de la fixer avec insistance. Ses cartons sous le bras, plus précisément.
-Oh, s'exclame-t-elle en me montrant un vingtaine de papiers cartonnés. Le prompteur de notre studio est en panne (elle déglutit) on doit se contenter de feuilles où notre texte est écrit au marqueur...
Elle hausse les épaules et me tend la main.
-Enfin bref, je passe à l'antenne dans dix minutes, ce fut un plaisir !
Je lui serre la main en retour et la remercie (de quoi ? Je ne sais pas moi-même).
Elle passe la porte et je suis de nouveau confrontée au dilemme du haut que je vais porter.
Je contemple un autre portant et je suis subitement attirée par un débardeur jaune flash.
« Parfait ! Il tombe à pic, je pense en le saisissant »
Je comprends par la suite la frénésie que ressentent les filles en faisant du shopping : sauf que dans mon cas, c'est gratuit.
Cinq minutes plus tard, j'ai déjà entre les mains des chaussures compensées jaunes, un serre tête jaune, un gilet jaune et des collants jaune.
Parfaitement assortie !
Quand je sors de la cabine, je suis vraiment ravie de mon résultat. Mais visiblement, les autres filles présentes ne sont pas de mon avis.
Elles portent toutes des robes blanches, noires qui ont l'air d'avoir coûté une fortune, alors comme toute réponse, je leur retourne leur regard désapprobateur sur elles.
Je passe alors vers le fond de la salle, où quatre coiffeuses sont disposées l'une à côté de l'autre.
Je m'assois sur la seule qui est libre et croise mon reflet dans le miroir. Je prends un produit, hasardeuse, et l'applique sur mon visage.
Eye liner, rouge à lèvre, ombre à paupières, mascara, blush...
En trois jours, c'est la troisième fois que je me maquille et je commence à y prendre goût. Et puis, c'est professionnel.
-C'est à vous dans dix minutes, suivez-moi.
Mary se tient derrière moi (j'ignore depuis combien de temps !) un bloc à la main.
Je me lève, si maladroitement qu'un pot de crème tombe et se brise sur le sol.
-Ne vous inquiétez pas, on va réparer ça.
Sauf que je perçois de la lassitude et de la froideur dans le ton de sa voix.
Je la suis à travers les studios, plus nous avançons, plus nous marchons vite.
-Votre première émission est sur Bonny Anderson, une jeune femme qui a du mal à s'exprimer à travers ses vêtements, qui n'arrive pas à assortir ses choix de tenues. La première partie se déroulera dans le studio, où elle vous parlera de sa vie, il vous suffira d'hocher la tête et de placer des mots gentil et faire semblant de noter quelque chose sur un calepin. Ce n'est pas trop dur pour vous ?
Je vais répondre, mais elle enchaîne :
-La seconde partie, après la pub, est tournée dans le centre commercial. Ce sera à vous de composer trois tenues pour Bonny et de lui expliquer pourquoi vous les avez choisies. Vous devrez regarder Bonny, pas la caméra, d'accord ? Pas de regard sur la caméra.
Nous arrivons enfin dans le studio. Il y a un canapé rouge et des néons partout.
-La troisième et dernière partie ne dure que cinq minutes, où vous devrez trouver une série de cinq conseils sur l'émission du jour. Les choses à retenir, vous voyez ?
-On se croirait dans Koh-Lanta ! je chuchote.
-J'ai enlevé le prompteur, déclare-t-elle avec un petit sourire. Laissez libre cours à votre imagination !
-Qu... Quoi ?
Je n'ai pas le temps de lui poser plus de questions : elle est déjà partie.
-Dix...
Oh mon Dieu
-Neuf...
Je n'aurais jamais dû postuler !
-Huit...
Et d'abord comment j'ai été prise ?
-Sept...
Des millions de gens vont me voir !
-Six...
Je devrais m'assoir sur le fauteuil ?
-Cinq...
Oh mon Dieu
-Quatre...
J'aperçois Carina Fergus au loin, avec ses cartons sous le bras.
-Trois...
Je lui fais de grands gestes...
-Deux...
Elle comprend.
-Un...
Elle court dans ma direction.
-C'est à vous !
Carina brandit une de ses affiches.
-Bonjour, vous êtes bien sur la mét... Mode&LifeStyle ! Le programme qui vous dit tout ce qui a à savoir sur la mé... la mode et le look ! Aujourd'hui notre invitée spéci... Invitée tout court est Bonny Anderson !
Bonny arrive comme par magie sur le plateau, toute sourire. Elle tente tant bien que mal de ne pas fixer la caméra pour rester naturelle.
-Quelle tenue ! je plaisante, le sourire crispé.
Elle me remercie et prend place sur le canapé.
Elle est habillée comme moi...
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Enfer au Paradis de la mode ; Saison 1
Fiksi RemajaPremière de sa promotion, travailleuse hors pair, raisonnable, sage... On donnerait beaucoup de qualités à Jessie Miles. Rédactrice dans un journal basé sur le jardinage (eh oui, car c'est important), Jessie se contente de son salaire moyen, jusqu'...