1er septembre.
Face à la glace, j'observe mon visage finement maquillé, mon corps mince et sculpté. J'essaie de ne pas penser à celle que je suis, celle que j'étais, Casual Girl ; cette adolescente boutonneuse incapable de se démarquer.
J'ai toujours pensé que la laideur était irrémédiable. Que j'étais née mal foutue, que je le resterais.
Mais les choses ne se passent pas ainsi. Passage en 2nde. Lycée. Stress. Pression. Désir de changer. D'être quelqu'un. Un nouveau départ. Se démarquer. Être belle, enfin.Été 2015 : j'avais enfin découvert comment dépenser mon argent de poche et mes heures de babysitting. 600 euros, 3 ans de travail et d'économie, des dizaines d'heures de babysitting, tout avait volé en éclat dans le maquillage, les jupes patineuses et les crop tops aguicheurs.
Bien sûr, je suis pleine de doutes. Est-ce qu'un mascara de couleur n'aurait pas été plus branché ? Ce jean que j'ai acheté l'autre jour, et si quelqu'un découvrait qu'il ne venait pas de Pimkie mais du bric-à-brac du coin ? Ce rouge à lèvres n'est-il pas trop vulgaire ?
Pourtant, je sais que les piles de magazines que j'ai lus pendant les vacances ne mentent pas. Je suis à la mode. Je suis belle, bien maquillée, branchée. Plus jamais je ne serai invisible.Je fais quelques pas. Après deux mois d'entraînement, les talons ne me gênent plus. Je supporte la douleur sourde des fins de journée sans me plaindre. Je ne trébuche plus, malgré les 4 centimètres de hauteur. J'avance d'une démarche assurée, imposante. Je connais l'effet que je produis.
J'ai commencé par reprendre les vieilles habitudes, me ratatiner sous le moindre regard, mais c'est en forgeant qu'on devient forgeron : après quelques semaines d'entraînement quotidien, j'ai appris à supporter les garçons qui reluquent mes fines jambes et ma poitrine ferme, puis surtout à apprécier cette attention.
Je n'avais jamais réalisé mes qualités. À présent je prends pleine mesure de mon corps et mes pouvoirs de séduction.Je quittai la maison sur la pointe des pieds en criant un vague "salut" à ma mère. Je me cachais d'elle lorsque j'étais entièrement préparée, craignant sa réaction. Depuis que j'avais entrepris tous ces changements, je m'arrangeais pour passer un jogging, un sweat-shirt et me démaquiller rapidement avant de me présenter devant elle.
J'avance vite. Je suis peu en avance. Dans ma poche, mon téléphone vibre, encore et encore, comme durant tout l'été. Alice et Chloé me bombardent de textos et d'appels. Je ne réponds pas, mais chaque sonnerie me fend le cœur. Je ne peux pas me retenir de lire leurs messages. Chacun est un coup de poignard en pleine poitrine.
Je n'ai pas pu me résoudre à bloquer leurs numéros. Elles ont tenté de me contacter tout l'été. Je n'ai pas cédé, sans pour autant parvenir à les oublier complètement. Pas encore. Je finirai par y parvenir, mais 10 années de fidèle amitié ne s'effacent pas aussi facilement que quelques boutons d'acné sous une couche de fond de teint.
J'arrive devant la grille de l'école d'une démarche mesurée. J'avance à un rythme lent afin de laisser à tous et à toutes le plaisir de me dévisager. Les regards sont, de la part de mes anciens camarades et tous les Casual Girls et Casual Boys avec qui j'ai un jour préparé un exposé ou partagé un café, surpris, ébahis, parfois hostiles. Ana, Claire, Jessica et Brune, les quatre bombes populaires, me dévisagent avec un mélange de curiosité, de rivalité et j'aperçois même un soupçon de jalousie. Les garçons que je ne connais que des réputation me dévisagent avec un sourire pervers qui me heurte - je réalise que je ne suis plus qu'un objet entre les mains de la dure compétition sociale qui sévit au sein du lycée.
Mais les regards les plus douloureux, ceux qui m'atteignent le plus, sont ceux d'Alice et Chloé. Nous nous fixons un bref instant pendant lequel je prie pour qu'elles lisent dans mes yeux toute ma peine, mes regrets, mes excuses.Puis je me détourne et je me dirige vers Ana, Claire, Jessica et Brune. Je me dirige vers mon avenir, mon futur parmi celles que l'ont connaît. Parmi celles que l'on remarque. Parmi celles qu'on aime ou qu'on déteste. Parmi celles qui marchent la tête haute.
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Casual Girl
RandomCasual Girl, c'était moi. Cette fille sans grand intérêt, timide, élève dans la moyenne, gentille mais pas très agressive ; une collégienne qui ne sait pas vraiment se maquiller, un peu de mascara, un peu de gloss, rien d'exceptionnel. Casual Girl...