Anonyme par omission

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Lui :

Salut, on se connaît je crois... Rappelle-moi ton prénom...j'arrive plus à te replacer...Tu es la sœur de Marc ? Non...la cousine de Michel. C'est trop bête, j'ai totalement oublié ton prénom. C'est trop con.


Moi :

Bonjour, tu ne te souviens plus ? La blonde insupportable qui rongeait ses ongles au cinéma l'autre soir, et bien c'était moi. Tu ne te rappelles plus mon prénom ? Tu me diras, c'est pas l'essentiel mais bon, une garce comme moi, j'aurais pensé qu'au moins on aurait son petit nom à jamais gravé dans la mémoire, histoire de se bidonner en partageant des anecdotes à mon sujet. C'est vrai que sans le prénom, les anecdotes sont moins...personnelles...Oh, excuse-moi, j'ai un train à prendre, on s'appelle, on s'écrit. Fais mes amitiés à ton frère, de la part de...enfin tu sais, celle que tu as croisée à l'entrée de la gare, aujourd'hui, ce mardi. A midi. Par hasard. Je l'embrasse. Très fort. Si lui aussi est amnésique, rappelle-lui le bruit de mes dents grignotant le bout de mes doigts. Ca l'agacera. J'aime ça. Je suis une fille bizarre, je sais...

Des entrevues furtives comme celle-là, pas très claires ni pour lui ni pour moi, j'en ai vécues des tas depuis que j'ai le don de la parole. Ca fait un bail. Vingt-six ans déjà. J'étais pas du genre précoce, plutôt tardive, j'ai mis du temps avant de baragouiner mes premiers mots. Dans le rayon communication du premier âge, on a sans doute fait mieux que moi. Pas de quoi écrire un roman. 

Mis à part les traditionnels «Papa»,«Maman», «Pipi» «Caca» j'avais le vocabulaire de base plutôt limité. C'était un signe, ou pour être plus exacte, une conséquence d'un petit problème d'identité qui allait me poursuivre durant de longues années. De quoi elle cause celle-là ? Qu'est-ce qu'elle veut essayer de nous faire comprendre avec sa régression en guise d'introduction ? Pour une fois, c'est on ne peut plus simple même si c'est pour le moins...original. Je suis née...sans prénom. J'avais un nom, enfin mon père m'avait refilé le sien comme de coutume dans les sociétés patriarcales. Mais rien devant. Absence totale de dénominateur. J'étais Mademoiselle X (restons anonyme par dignité). C'était un peu comme à la Star Academy, mais dans l'autre sens. Ici pas de Mario, pas de Jenifer ni deJipé. Pas de prénom. Juste un nom.

Née fille de mon père, j'allais grandir à l'ombre d'un patronyme, comme une gosse de star, l'enfant d'un mythe. Mais même les ombres ont une histoire et la mienne a au moins le mérite d'avoir eu un joli début, sur l'oreiller. Un commencement qui remonte bien avant que je sois expulsée du ventre de ma mère par un gynéco trop curieux. Je suis née d'une idée, d'un désir exprimé sous la couette un soir de septembre. Mes parents (je vous rassure, je n'ai pas en plus la tare d'être née dans une éprouvette) dissertaient gaiement sur leurs projets. Ca fusait dans tous les sens. Le look dépouillé du salon avec baie vitrée donnant sur un jardin en pente douce. La grande baignoire où ils pourraient batifoler avec des canards en plastique. Les petits déjeuners pris sur leur magnifique terrasse en bois marin, à l'aurore des belles journées de la fin juin. Mille et une choses, très environnementales. Des rêves de vie à deux. Joli tableau. Après avoir passé en revue toutes les pièces de leur future demeure, ils en arrivèrent aux choses sérieuses. Leur premier enfant. Et, pour donner un nom de code à ce projet majeur, ils s'engagèrent dans une longue discussion animée. Objet des négociations : sortir du chapeau le prénom du petit garçon ou de la petite fille. Comme mon père rêvait d'une petite fille (papa, voilà, ton vœu est exaucé), on s'attarda surtout aux variations féminines. Tout y passa. Je vous liste donc en vrac quelques appellations dont je fus épargnée : Natacha, Anne-Marie, Céline, Rebecca, Deborah, Caroline, Véronique, Olga, Anastasia, Sharon, Britney... Et j'en passe, et pas forcément les meilleures. Mon drame a commencé ce soir-là, à une heure avancée de la nuit. Lassés de ne pas pouvoir tomber d'accord sur le plus petit commun dénominateur, mes parents se sont endormis, vers deux heures du matin, à la mi-septembre il y a près de trente ans, en oubliant de donner à leur projet d'enfant son nom de code. Et cet oubli, j'en fus la triste héritière une petite douzaine de mois plus tard. Mais ne brûlons pas les étapes.

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⏰ Dernière mise à jour : Sep 10, 2015 ⏰

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